Jean-Thomas Jobin me donne rendez-vous au Pistou déjeuner, rue de la Roche. La révélation du gala Les Olivier 2004 vient de faire paraître le DVD de son premier spectacle, qu'il a livré pour la dernière fois il y a quelques semaines, après trois ans de tournée. L'humoriste, qui affectionne l'absurde et l'autodérision, pratique un humour qui ne plaît pas à tous. Thème: faire (ou ne pas faire) rire.

Marc Cassivi: Tu as dans ton spectacle une façon de reconnaître que ton humour ne plaît pas à tout le monde. Ça revient beaucoup. Entre autres dans le numéro où tu lis des faux courriels d'insultes du public...

 

Jean-Thomas Jobin: Beaucoup de gens pensent que c'est vrai. Il y en a plein qui, après le show, viennent me dire: «Pauvre p'tit. As-tu vraiment reçu ça?» Ben non. Mais c'est arrivé que des gens m'écrivent pour me dire que mon show est plate

M.C.: C'est quand même le genre de réaction que tu peux provoquer.

J.-T.J.: C'est sûr.

M.C.: Comment tu réagis au fait que certaines personnes ne comprennent pas ce que tu fais?

J.-T.J.: Je vis bien avec ça. Au début, les gens qui venaient me voir étaient des fans de la première heure. Ils savaient à quoi s'attendre. Puis il y a eu un effet de curiosité, de bouche-à-oreille, qui a fait que certains ont pu rencontrer leur Waterloo. En général, ça se passe bien. Le plus difficile, c'est les théâtres d'abonnés. Quand les gens paient pour la saison mais n'ont pas nécessairement choisi de me voir, parfois, ils me regardent un peu de travers... Après l'entracte, d'habitude, ils ont disparu.

M.C.: Est-ce que c'est une réaction que tu recherches?

J.-T.J.: Tu veux dire chercher à déstabiliser?

M.C.: Oui, et même carrément déplaire.

J.-T.J.: Non. Je me suis rendu compte que le numéro des courriels critiques pouvait faire du bien à certains.

M.C.: Les réconcilier avec le fait qu'ils ne sont pas les seuls à ne pas comprendre ton humour...

J.-T.J.: Ils ont l'impression que je leur donne la parole. C'est un numéro qui marche bien. Peut-être qu'inconsciemment, j'ai senti le besoin d'inclure ce numéro-là pour désamorcer la réaction de certaines personnes. J'aime ironiser, dans la vie comme sur scène. Je suis souvent en mode absurde, mais aussi en mode ironie. Je ris souvent de moi-même au départ, avant de rire des autres. Dans mon show, peut-être encore une fois inconsciemment, je ris de l'humour, des mécaniques de l'humour. Je fais une parodie d'humour macho, une parodie d'humour politique où je ris un peu de l'humour engagé. Pas pour me moquer de ceux qui en font, mais pour me moquer des mécaniques.

M.C.: Lorsque tu te moques des stéréotypes de l'humour, j'ai l'impression que tu dis: «Si vous aimez la majorité des humoristes québécois, peut-être que vous allez avoir de la difficulté à m'aimer.»

J.-T.J.: J'en suis conscient et je l'assume. Je suis très à l'aise avec ça. Faire de l'humour, ce n'était pas un projet pour moi au départ. Ce que j'ai toujours préféré, c'est l'écriture. J'assume en spectacle que tout le monde ne me trouve pas drôle, mais je ne le fais pas pour m'en excuser.

M.C.: Tu essaies de le tourner à ton avantage.

J.-T.J.: Oui. Pour aller chercher le public plus difficile. Je me suis rendu compte très vite, en faisant des chroniques au Grand blond, que je faisais un humour qui n'avait pas vraiment de zone grise. D'emblée, les gens embarquaient vraiment ou pas du tout. Mais avec le temps, il y a un peu eu un phénomène d'apprivoisement. Sinon, et je le dis bien humblement, il n'y aurait pas eu autant de gens au show. Il y a quand même 65 000 personnes qui l'ont vu. Je m'attendais à ce qu'il y en ait 14... C'est sûr que je sens qu'il y en a qui me regardent en disant: «Je suis censé rire quand et pourquoi?» Je les comprends. Même mes parents ont dû apprivoiser mon humour. Ils n'avaient peut-être pas le choix!

M.C.: Tu t'attaques à certains codes conventionnels de l'humour: les blagues sur les relations de couple entre autres. Je trouve que la démonstration par l'absurde est une façon intéressante d'aborder la chose. Tu dis que tu ne veux pas t'attaquer à ceux qui font ce genre d'humour, mais n'est-ce pas une façon de les critiquer?

J.-T.J.: Je m'attaque vraiment plus aux codes qu'aux humoristes. Je me moque de façons de faire qui sont répétitives. Je ne veux pas rire des humoristes, je les respecte beaucoup. Le débat sur «Y a-t-il trop d'humoristes? Est-ce que leur discours est vide?», je le trouve sain. Ce qui me dérange, c'est que les gens jugent que l'humour n'a un sens que lorsqu'il est engagé. J'aime bien déceler ce qu'on veut me dire ou m'inspirer de ce qu'on me livre, sans que ce soit nécessairement imposé. Je trouve que c'est un des travers de l'art engagé. L'éditorial n'est pas la seule façon de développer un mode de pensée.

M.C.: Tu préfères la proposition artistique à l'exposé didactique.

J.-T.J.: Exactement. À partir du moment où tu es sur scène et que tu dis quelque chose, cette chose a été dite. Le public peut l'interpréter à sa façon. C'est ça que je trouve intéressant.

M.C.: Mais tu conviens que chez certains humoristes, le message est plus difficile à interpréter.

J.-T.J.: Je suis d'accord. Mais je vais te citer Peter MacLeod, qui a beaucoup été attaqué dans ce débat. Il a dit en entrevue: «Je veux que les gens viennent s'amuser pendant deux heures en voyant mon show. La vie est dure. Si les gens peuvent oublier leurs soucis et rire avec moi, tant mieux.» C'est peut-être simpliste, mais ça vaut autant que n'importe quelle autre motivation pour faire un spectacle. S'il y a un public pour ça et que ça fait du bien aux gens, pourquoi pas?