D'habitude, le cirque québécois crée ses spectacles à Montréal, les peaufine sur place, puis les fait voyager de par le vaste monde. C'est tout à fait normal. Mais c'est tout de même chouette aussi de pouvoir assister à un spectacle déjà rodé comme l'est La vie, nouvelle création du collectif québécois Les 7 doigts de la main. Créée et jouée à New York pendant trois mois, présentée également en Nouvelle-Zélande, La vie s'installe enfin ici, à la Tohu, mardi. La Presse a pu assister à quelques répétitions et réaliser que la troupe travaille d'arrache-pied pour pousser plus loin encore un spectacle qui a séduit la critique américaine et néo-zélandaise. Voici La vie, vue des coulisses

VENDREDI, 12 SEPTEMBRE, RÉPÉTITION À LA TOHU

«Aujourd'hui, c'est Noël pour les 7 doigts», lance le verbomoteur Sébastien «Seb» Soldevila, acrobate accompli et maître de cérémonie de la nouvelle création de la troupe. Noël? Oui, car les accessoires du spectacle - un boulier de bingo géant, un lutrin aux allures extraterrestres -, refaits complètement à l'occasion des représentations à Montréal, viennent d'arriver. Et, tout d'argent, ils brillent littéralement, comme des décorations de Noël, au milieu d'un décor fait de dizaines de boîtes de carton et d'un téléphone rouge, posé sur un bureau tout ce qu'il y a de plus réglementaire!

 

C'est que la troisième création des 7 doigts de la main se déroule au purgatoire: les spectateurs, tout comme les acrobates, sont en quelque sorte des morts en suspens, attendant condamnation ou rédemption. Car le purgatoire est le lieu de la dernière chance, l'occasion ultime pour se racheter: chacun des acrobates va donc incarner un humain qui a beaucoup péché - luxure, amour excessif, mépris de l'autre... - , mais qui pourra peut-être se rattraper. Créé pour le SpiegelWorld, chapiteau mythique de New York, le spectacle, fantasque et sexy, fait appel à tous les arts de la scène: cirque, théâtre, musique, humour (noir), danse

Dans la salle de spectacle de la Tohu, transformée en salle de répétition, Émilie «Mimi» Bonnavaud et Faon «Fanfoune» Shane, toutes deux impeccables acrobates montées sur talons hauts, font le grand écart et autres réchauffements du genre. Les autres membres de la troupe? On attend Sam (Samuel Tétreault), Patrick (Léonard) doit arriver bientôt et Isabelle Chassé, qui travaille en horticulture, ne participera à la répétition qu'en soirée. Quant à Shana Carroll, l'exceptionnelle chorégraphe des 7 doigts, elle est enceinte jusqu'aux yeux et sera donc remplacée par Krin Haglund, qui arrivera d'Espagne lundi prochain.

Bref, il règne une incroyable atmosphère de fébrilité dans la salle, mais aussi beaucoup d'affection: que ce soit Nol Van Genuchten, le directeur de production-concepteur d'éclairage (»et chauffeur» ajoute-t-il) ou Pete Wellington, chargé de la manipulation des accrochages acrobatiques (»Il sera également notre esclave sur scène», précise Sébastien), sans oublier Stéphane Boucher, responsable des accrochages et «de trouver des bébelles pour le décor» (»C'est aussi mon cousin, ajoute Sébastien, hier, il a fait 120 kilomètres juste pour trouver des boules de bingo géantes!»), tout le monde semble porté par une fièvre souriante, amicale. Oh, il y a encore bien des problèmes à régler, mais comme me le dira dans quelques jours l'impeccable DJ Pocket, maître ès musique et membre des 7 doigts (dont on vous dit seulement qu'il fait un numéro au cours duquel il créera une poterie sur une table tournante!): «Le show, on l'a déjà survécu! Tout peut arriver, tout est déjà arrivé. Ce spectacle, on l'a fantasmé, on l'a essayé, on l'a joué. On continue.»

Pour le photographe de La Presse, Sébastien et Mimi font leur époustouflant numéro de main à main, véritable pas de deux sulfureux, qui leur a d'ailleurs valu la médaille d'or au Festival mondial du cirque de demain en 2007, à Paris. Puis, Faon fait une partie de son numéro de corde lisse dont la corde a été remplacée par trois chaînes de métal: c'est elle qui a mis au point ce fascinant concept de chaînes aériennes - qui lui ont fêlé un peu les dents, tant elle les a reçues dans le visage!

Disons-le tout net, c'est féerique: elles sont lourdes, ces chaînes, mais quand elles volent autour de Faon, elles tracent dans l'espace des figures gracieuses et légères. Pour incarner une femme qui aime trop, enchaînée à ses amours, rien de tel qu'une centaine de pieds de maillons! «Comme on le fait depuis nos débuts (en 2002), on s'est tous inspirés de nos vies pour ce spectacle, explique Faon. Moi, j'ai fait partie du Cirque du Soleil pendant 20 ans (elle y a débuté à 7 ans), et il m'a fallu me battre avec mes propres chaînes pour me trouver Puis apprendre à vivre avec elles, en faire une force, d'où ce numéro.»

La vie est un spectacle pour les 15 ans et plus, c'est clair: bien des numéros flirtent avec l'érotisme, la folie, l'excès avec bon goût! «Le SpiegelWorld de New York nous avait commandé un spectacle de cabaret, un late night show» un peu dans la lignée du film Moulin Rouge, avec de gros costumes flamboyants et affriolants, explique Sébastien. Mais c'est pas nous, les gros costumes flamboyants. On s'est donc battus pour raconter une histoire (dont Sébastien est le narrateur pendant le spectacle), pour démontrer que ce n'est pas nécessaire d'être nus pour être sexy» Mandat tout à fait rempli, la journaliste peut en témoigner!

LUNDI, 15 SEPTEMBRE, CONFÉRENCE DE PRESSE À LA TOHU

Encore de la fébrilité, mais cette fois générée par la présence des médias. Aujourd'hui, en effet, la troupe va donner un bref aperçu du spectacle. DJ Pocket est à l'oeuvre dans son «bar à musique», où il va réagir à la nanoseconde pour coller aux numéros. Sébastien a revêtu son costume tout blanc de maître de cérémonie démoniaque, procède à l'appel des journalistes («Landry, Pierre?» «Présent!»), puis prononce le nom de «Patrick Léonard Patrick Léonard». Absent, Patrick Léonard? Non, puisque l'acrobate tombe littéralement du plafond, dans un tas de boîtes de carton - ça fait partie du spectacle! Sous les yeux des journalistes médusés, la troupe va présenter quelques numéros qui donnent une idée de La vie. Personne ne va réaliser que, pendant son numéro de folle à lier qui fait des acrobaties sur Crazy de Patsy Cline (remixé par DJ Pocket), Isabelle Chassé passe à deux doigts (de pied) de tomber dans la foule: le hasard veut que son collègue Patrick soit assis parmi les spectateurs et qu'il la rattrape! C'est décidé: Patrick sera là tous les soirs

Michel Vézina est également présent. Le romancier, auteur (notamment d'un ouvrage sur les 25 ans de notre École nationale de cirque) et chef de pupitre de Voir cosigne en effet (avec Soldevila) la version française du texte de La vie: «J'ai assisté, par hasard, à la première new-yorkaise du spectacle, le 7 juillet 2007 - qui marquait en plus les sept ans des 7 doigts! Après la représentation, je leur ai offert mes services de traducteur-adaptateur!»

Pendant la courte représentation pour les médias, ce qui frappe, c'est la confiance absolue des acrobates dans leur corps, mais aussi ceux de leurs collègues, la certitude qu'ils seront rattrapés par l'autre Et puis aussi, la musique, vitale, qui appuie le moindre mouvement: «On fait chacun notre recherche musicale, explique Faon, en fonction de la couleur qu'on veut donner au spectacle. Au début, pour La vie, on pensait prendre uniquement des tounes de monde mort (rires), mais disons qu'on a abandonné l'idée. J'ai construit mon numéro à partir de morceaux que j'aimais, de musiques dans notre base de données, j'ai demandé à Raphaël Cruz (qui participait au magnifique Traces, deuxième création des 7 doigts) de faire le piano On fait ça pour tout: nos costumes, nos maquillages, notre musique Et on essaie de convaincre les autres membres de la troupe qu'on a raison!»

MARDI, 16 SEPTEMBRE, RÉPÉTITION À LA TOHU

L'adrénaline de la veille est un peu retombée. Tout le monde est un peu plus fatigué, un peu plus sérieux - ce qui n'empêche personne de se faire des saluts à la Spock, de Star Trek! Et puis, Krin est enfin arrivée d'Espagne.

Alors, tout le monde retravaille encore et encore son numéro. Parmi les bruits de marteau et de perceuse (on est en train de finir le montage de la scène, circulaire, à laquelle se greffe une longue passerelle), Sébastien et Émilie vont reprendre chacun des mouvements de leur numéro, sous les yeux extrêmement attentifs de Shana, qui propose telle ou telle petite modification, en dépit de sa grossesse avancée. Faon, elle, discute avec Pete (responsable des accrochages acrobatiques), à qui on va devoir faire un banc afin qu'il puisse vraiment voir l'acrobate ET ses chaînes, par-dessus le bar à musique Ah oui, il y a aussi la question des contrepoids à régler. Et puis, qu'est-ce qu'Émilie fait avec sa chaise, après tel mouvement?

Bref, pour les 7 doigts de la main, La vie continue...

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La vie, des 7 doigts de la main, à partir du 23 septembre, 20h, à la Tohu.