Eh oui! c'est de nouveau l'heure des choix déchirants. Comme c'est le cas chaque année, vous devrez sortir la carte de crédit afin de vous procurer vos places pour ce grand trip de musique qui s'étale du vendredi 25 juin au mardi 6 juillet. Il va sans dire que vous n'avez nullement besoin de moi pour choisir les célébrités qui tapissent la majeure partie de cette 31e programmation en salle du FIJM.

Ahmad Jamal

Les grands concerts

Théâtre Maisonneuve, 2 juillet, 21h30

 

Après 20 ans d'absence au FIJM, le pianiste afro-américain revient par la grande porte. Attitude de prima donna ou non, il fallait corriger la situation pendant qu'il est encore temps. Le plus grand des pianistes de jazz vivants - je parle de ceux issus de son époque - aura 80 ans le soir même de son escale montréalaise. Aux dernières nouvelles il jouait encore de manière admirable - fluidité, vivacité, attaque, sens rythmique, vision harmonique et tout et tout. C'est clair, on ne pouvait plus s'en passer, à aucun prix. Jamal n'est-il pas un des plus grands stylistes du piano jazz, un des techniciens les plus accomplis des six dernières décennies, un des plus modernes de son temps? Oui, Herbie Hancock et Keith Jarrett sont de retour cette année. Mais s'il faut faire un choix, un seul, il faut se trouver un billet pour Ahmad Jamal et son trio - John Heard, contrebasse, Yoron Israel, batterie.

Robert Glasper

Série Invitation

Gesù, 1er au 4 juillet, 18h

S'il me fallait choisir quelques concerts de la série Invitation, c'est-à-dire entre le trio de prestations menées par le superbe trompettiste sarde Paolo Fresu, par le batteur français Manu Katché ou le pianiste afro-américain Robert Glasper, je pigerais d'abord chez ce dernier. Certes le plus impressionnant des pianistes black du jazz émergent ces dernières années, Glasper n'est venu qu'une fois au FIJM, il y a trois ans, il nous a fait faux bond l'an dernier et fait amende honorable. Si je ne l'avais jamais vu jouer, j'irais au concert du superbe trio qu'il forme avec le batteur Chris Dave et le contrebassiste Vincent Archer. Sinon? Le duo avec Terence Blanchard nous donnera certes un autre éclairage sur la relation intime entre trompette et piano. Le soir suivant, le trio de Glasper (transformé en quartette avec le saxophoniste Casey Benjamin) devrait frayer côté hip hop/urban avec le fameux Bilal, pour ainsi nous plonger dans l'inédit.

John Zorn et son Masada Marathon

Série En voix

Théâtre Maisonneuve, 1er juillet, 18h

À lire les intervenants de mon blogue, je constate qu'une majorité de mélomanes n'ont pu assister aux multiples interventions du saxophoniste, compositeur et leader d'orchestre John Zorn au Festival de Victoriaville. Alors? Un rattrapage intensif vous est offert en deux menus distincts. Si j'étais à votre place, je sauterais sur l'occasion et je me procurerais des places pour les deux programmes consécutifs prévus par ce Masada Marathon. À Montréal, Zorn est venu quelques fois avec Masada (acoustique), une autre avec Pain Killer (Bill Laswell, A-Trak...), etc. Cette fois, il passe la soirée entière au Théâtre Maisonneuve, avec les membres les plus éminents de son noyau de création: Erik Frielander, Mark Feldman, Dave Douglas, Marc Ribot, Cyro Baptista, Joey Baron, etc. Dans différentes configurations, Zorn passera en revue ses projets les plus applaudis, mixtions pour le moins brillantes de jazz contemporain, culture électro-rock et patrimoine judéo-oriental. On nous annonce que cette soirée culminerait en mode électrique? Je vous dis d'emblée que l'Electric Masada a été pour moi LA grande expérience de jazz (néo fusion) vécue depuis des lustres.

Christine Jensen Jazz Orchestra

Jazz d'ici

L'Astral, 30 juin, 18h

De cette série consacrée au jazz local, je retiens l'hommage à Len Dobbin par l'ensemble du pianiste Félix Stüssi (avec pour invité le tromboniste Jean-Nicolas Trottier), Jean Derome et ses Dangereux Zhoms, le quartette du saxophoniste Chet Doxas, le trio que formeront Karen Young, Éric Auclair et le claviériste norvégien Bugge Wesseltotf. Cela dit, le projet le plus intéressant m'apparaît clair: le Christine Jensen Jazz Orchestra vient à peine de bourgeonner avec ce superbe Treelines, avec pour soliste principale la trompettiste virtuose Ingrid Jensen, une des plus sollicitées à New York. Le big band montréalais se distingue pour son instrumentation, ses choix harmoniques très contemporains, la finesse des lignes mélodiques, la qualité de ses solistes, la grâce féminine de sa compositrice et arrangeuse. En février dernier, le Christine Jensen Jazz Orchestra a offert un concert digne de mention au Gesù, c'est l'occasion pour les jazzophiles qui l'ont raté de découvrir le plus substantiel des big bands montréalais.

Tigran Hamasyan... «LA» révélation?

Piano solo

Chapelle historique du Bon-Pasteur, 2 et 3 juillet, 19h

Dans le cadre de cette série pianistique présentée à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, les supporters du jazz québécois pourraient être rassasiés par les concerts en solo des Bourassa, Desmarais, Groulx et Beaudet. Ils resteront peut-être sur leur appétit à l'écoute des interventions soliloques du Norvégien Bugge Wesseltoft et de l'Italo-Américain Marco Benevento. Ils seront étourdis par la science de Vijay Iyer. Et ils tomberont de leur chaise à l'écoute de l'Arménien Tigran Hamasyan. Prodige arménien, Tigran Hamasyan pourrait s'avérer LA révélation du prochain FIJM. Non seulement ce musicien de 22 ans est surdoué sur le plan technique, mais il nous propose un furieux mélange de jazz contemporain, d'attitude rock et de musiques caucasiennes aux portes de l'Orient. Il vous faut d'ailleurs écouter redhail, un album hallucinant du pianiste, si ce n'est que pour les mariages piano-voix avec la chanteuse Areni Agbabian. Deux soirs en solo à la Chapelle historique et une participation à l'ensemble Punk Bop! (Ari Hoenig, Matt Penman, Gilad Hekselman), voilà autant d'occasions de consacrer Tigran Hamasyan.

Vijay Iyer

Jazz dans la nuit

Gesù, 25 juillet, 22h30

Il y a des must et des bof dans cette série de fin de soirée, traditionnellement présentée au Gesù. Parmi les must, le projet Keystone Spark of Being du trompettiste new-yorkais Dave Douglas, le quintette du trompettiste polonais Tomasz Stanko, le trio du pianiste Steve Kuhn, le quintette du trompettiste afro-américain Christian Scott. Mais s'il faut arrêter un seul choix dans votre sélection, le trio du pianiste Vijay Iyer s'impose. Fils d'immigrants indiens, ce natif de l'État de New York a escaladé plusieurs échelons du jazz international, avec une treizaine d'albums à son actif en tant que leader ou coleader. À l'instar de son collègue saxophoniste Rudresh Mahantappa, Vijay Iyer est un produit composite de grands patrimoines musicaux; sa connaissance profonde de la musique classique indienne se fond dans sa vision singulière du jazz contemporain. L'indiscutable virtuosité et l'immensité de l'imaginaire honorent ce détenteur d'une maîtrise en physique et d'un doctorat en arts et technologies. Dans la nuit au Gesù, Vijay Iyer se produira avec Marcus Gilmore, batterie, Stephan Crump, contrebasse. Qui plus est, on pourra l'entendre en solo à la Chapelle historique du Bon-Pasteur.

Tout!

Série El Duende Flamenco

TNM, 25 juin au 3 juillet, 20h

Vu notre ignorance de la nouvelle scène flamenca, les quatre menus suggérés par le FIJM se valent. Avec Dorantes et Chano Dominguez, le flamenco a désormais son volet pianistique. Chacun à leur manière, ces musiciens ont su adapter ce genre essentiellement fondé sur la guitare en lui conférant une valeur pianistique et de nombreuses actualisations, sans toutefois en dénaturer la forme originelle. Depuis la fin des années 90, Diego «El Cigala» s'affirme parmi les meilleurs chanteurs de la relève flamenca. Aucun doute sur son coffre, son enracinement dans la tradition et son ouverture à l'époque actuelle. Quant à Juan Carmona, gitan français d'origine espagnole, on l'inscrit dans la lignée des grands réformateurs de la guitare flamenca, à commencer par Paco de Lucia et Tomatito. Faire un choix après ça? Tirez au sort!

 

Gil Scott-HeronChoix vintage

Club Soda, 25 juin, 19h

Les plus fins praticiens du hip-hop le considèrent comme l'un de leurs ancêtres cruciaux. Auteur, poète et chanteur, Gil Scott-Heron a fait sa marque avec ses célèbres spoken words qu'il enrobait de soul jazzy, de concert avec son ex-collègue Brian Jackson. Au cours des années 70, il a profondément marqué la culture afro-américaine... pour ensuite s'enliser dans la surconsommation de drogue, ce qui l'a conduit en taule jusqu'à tout récemment. Rescapé par le label anglais XL, Scott-Heron a lancé récemment I'm New Here, un album d'une puissance insoupçonnée. Miraculé, le sexagénaire a retrouvé son aura originelle, au point de repartir en tournée. Très attendue, son escale montréalaise n'est pas un succès garanti. Les plus récentes critiques anglaises et américaines sont tantôt très élogieuses, tantôt tièdes. Quoi qu'il advienne, le risque de se pointer au Club Soda en vaut la chandelle.

Staff Benda Bilili

Choix world

Club Soda, 5 juillet, 19h

Rescapés des bas-fonds de Kinshasa, ces Congolais se regroupent sous la bannière Staff Benda Bilili. Ces musiciens de rue (dont plusieurs sont paraplégiques, victimes de la poliomyélite) génèrent une pop africaine d'une force phénoménale. Dès les premières mesures, on est envoûté par ces grooves mâtinés de rumbas congolaise ou cubaine, roots reggae, juju nigerian, blues afro-américain et plus encore. Des instruments de fortune confèrent à ce Staff époustouflant des sonorités inédites, parfois insolites, immanquablement séduisantes. Lorsque l'art naïf marque l'imaginaire, on le doit à de tels artistes. Inutile d'ajouter que cette formation multigénérationnelle a déjà embrasé l'Europe. À notre tour de vivre cette période de grâce.

Gil Scott-Heron.

Sophie HungerPop de création

L'Astral, 5 juillet, 21h

Tout récemment, j'ai découvert cette jeune artiste originaire de Zurich, qui compte pourtant trois albums - et dont le premier remonte à 2006. Pour les bonnes raisons, Sophie Hunger fait actuellement un tabac de l'autre côté de la flaque, il devrait en être tout autant en Amérique. Cette fois, je partage l'avis des programmateurs du FIJM: cette jeune auteure-compositrice-interprète est bénie des dieux. Bellement voilé, son organe vocal exhale une profondeur et une puissance qui défient la gravité. Les particularités de son discours (références psych folk, rock indé, blues, rythmique particulière des phrases, instrumentation originale, puissance émotionnelle, etc.) mènent rapidement à formuler cette prédiction: Sophie Hunger sera mondialement connue, et ceux qui seront à l'Astral le 5 juillet s'en vanteront pendant plusieurs années.

Sophie Hunger.