Bravant le froid et les files d'attente, les Montréalais ont participé en grand nombre (200 000, rapportait La Presse Canadienne) à la sixième Nuit blanche organisée dans le cadre du festival Montréal en lumière, faste événement où à peu près tout le monde pouvait trouver son compte parmi les 165 activités culturelles inscrites à l'horaire, de la soupe à l'oignon servie Au Petit Extra pour Le café des Gitans jusqu'aux films de genre offerts par Fantasia au Théâtre Maisonneuve, en passant par le set carré ou les beats gras de Ghislain Poirier.

Comment se préparer à une telle insomnie culturelle? Deux choix s'offrent à nous: ou bien on planifie, guide en poche, chacune de nos escales dans la nuit montréalaise, ou bien on se laisse guider par l'impulsion du moment ou par le mouvement de la foule. Ah! petit détail: ne pas oublier les moufles, la météo indiquait -15 ºC. Brrrr.

 

Notre petit commando de noctambules a préféré la seconde option: on fonce tête baissée sans plan déterminé. Première escale, le Vieux-Port, où Montréal en lumière a établi ses quartiers généraux.

La soirée avait beau être déjà bien entamée, les marmots déjà couchés, les quais étaient quand même noirs de monde. Près de la grande roue, devant la petite scène, des centaines de danseurs se faisaient aller les bottes au rythme d'un DJ, une bière ou un café chaud dans les mains. Un détour par la sphère illuminée de l'intérieur par les VJ, et qui servait de seconde discothèque, nous a permis de vivre le grand désagrément de ces nuits blanches: la file d'attente.

Qu'importe, il reste encore 164 autres activités. Nous terminons notre bière et filons vers le nord, par la place Jacques-Cartier, direction l'hôtel de ville, pour la soirée «Swinguez vot'compagnie». Encore une file d'attente pour la glissade qui dévale la côte jusque dans la rue de la Commune. Arrivés à l'hôtel de ville, la file, une autre. Mais pas longue, celle-là; on entre rapidement dans le hall... pour faire la queue une seconde fois.

Finalement, peut-être que l'idée de planifier un parcours avant d'arriver n'aurait pas dû être écartée trop rapidement... On ouvre le programme des activités: la galerie DHC/ART propose Replay, l'exposition de l'artiste visuel/musicien/platiniste new-yorkais Christian Marclay. Ce n'est qu'à quelques coins de rue, et ça promet d'être moins couru que la sphère-discothèque.

De plus, sur la route, l'Histoire de Montréal avec un grand H nous rattrape. Petite leçon d'archéologie urbaine rue Saint-Jacques, partiellement fermée pour cause de bris de conduite: l'asphalte éventré laisse voir de fascinants artéfacts: des canalisations vieilles d'au moins 100 ans traînant à côté d'un bélier mécanique. Plus besoin d'aller au musée Pointe-à-Callière!

L'expo Replay de Marclay, comme les autres installations et oeuvres d'art exposées au Palais des congrès (une sélection regroupée dans la catégorie Art souterrain), donne à la Nuit blanche toute sa raison d'être. Il faut parfois des situations hors de l'ordinaire pour, justement, nous amener à découvrir de nouveaux talents et explorer de nouveaux recoins de notre ville. Là, personne pour nous pousser dans le dos. À l'abri du froid, on a tout le temps voulu pour profiter des oeuvres présentées.

Ensuite, direction centre-ville. Chacun a sa préférence: les films gore de Fantasia, la bamboula alterno au Métropolis, Gatineau et SoCalled au Piano Nobile de la salle Wilfrid-Pelletier... Moi, je voulais au moins voir les graffitis éphémères du collectif NeoGrafik. Ça a fait patate: le froid a figé les bidules des graffiteurs, qui ont tout tenté pour réanimer leur expérience artistique. Au moins, l'ambiance était électrique sur l'esplanade de la Place des Arts.

Il était près de 2 h du matin, le centre-ville était encore bondé, fébrile, aussi - nous avons raté de peu une brève intervention policière rue Sainte-Catherine, pour une peccadille, nous ont relaté des témoins. La sécurité était omniprésente dans le secteur, où l'ambiance était encore bon enfant, bien que légèrement éthylique. Pourtant, dans le bourdonnant hall des pas perdus de la Place des Arts, des techniciens s'affairaient à démonter l'espace qu'occupaient les danseurs de la troupe Les Imprudanses. Ici, visiblement, la Nuit blanche se terminait. Dommage, les lieux auraient dû être vivants jusqu'au lever du soleil.

Cap ensuite vers le Métropolis, où une ribambelle de groupes se produisaient gratuitement, à l'invitation de Bande à Part/Radio-Canada. Juste eu le temps d'attraper la fin de la performance de numéro# (et d'entendre un extrait de son prochain album) pour ensuite chasser la fatigue avec Ghislain Poirier qui, du haut de la scène, menaçait quiconque aurait eu l'intention de quitter les lieux avant 5 h du matin.

Ce que nous avons néanmoins dû faire pour assister aux courts, moyens et longs métrages programmés par le festival Fantasia, au Théâtre Maisonneuve. Du sang sur l'écran! Des monstres, des noctambules terrorisés! Et pour nous permettre de tenir jusqu'à la fermeture des portes, une captivante sélection de courts métrages d'animation.

En sortant de la Place des Arts, un trajet dans le métro, bondé lui aussi de Montréalais fanés par la nuit passée à galoper d'une activité à l'autre. Il est 5 h, moment paradoxal où certains vont au lit alors que d'autres commencent leur journée. Une belle Nuit blanche passée à souhaiter que l'expérience puisse être organisée plus d'une fois par année.