Monsieur le chorégraphe, j'avoue que j'avais des fourmis dans les jambes, mercredi soir, à la première de Suie à la Cinquième Salle. Une urgente envie de quitter la salle pour aller flâner sous les néons du Complexe Desjardins qui, en comparaison du spectacle, avait des allures de cathédrale!

Sortir... mais à quel moment? Pendant la scène où un interprète, enroulé dans un revêtement, crie à répétition, pendant de nombreuses minutes: «Chus pogné dans l'prélart»? Lorsqu'il répète jusqu'à l'écoeurement que sa main est coincée dans une machine distributrice?

Bien non. Je suis resté jusqu'à la fin et, croyez-moi, le spectacle était plus intéressant dans la salle que sur la scène. Ça gigotait et ça affichait des mines patibulaires dans les gradins! Personne n'aime se faire «vomir» (pour reprendre vos mots) dessus pendant 95 minutes. Mais, en tant que trouble-fête de la danse contemporaine, vous n'êtes pas à votre premier doigt d'honneur au public. Or, cette fois, pas sûr que tout le monde en redemandera...

Certes, à vos humbles yeux, mon opinion en tant que critique ne vaut «rien du tout». Pourtant, de la non-danse, du chaos et de l'inconfort, j'en ai vu passablement sur scène en 25 ans.

Mercredi, à la Cinquième Salle, on a eu droit à des images violentes, de la nudité, des scènes sexuelles, des entrées et des sorties bordéliques, des éclairages aveuglants, des silences et des malaises, une salle surchauffée, un chien sur scène qui aboie à chaque mouvement des danseurs; sans oublier un enfant qui joue avec les grands, notamment son père, nu comme un ver... Tout cela peut créer du sublime. Mais dans la trame lousse de Suie, c'est du remâché.

Le retour de l'enfant prodige

Cher Dave, je peux te tutoyer? Après toute cette torture, je me sens comme plus proche de toi. En février 2014, tu as annoncé que ta compagnie ne produirait plus de spectacles à Montréal. «Pas d'argent, pas de show!», scandais-tu, dans un élan de colère visant, entre autres, les intervenants du milieu culturel. On t'a pris au sérieux. Quand tu es en colère, Dave, on t'écoute; on te «like»; on te partage sur Facebook. C'est le privilège des créateurs doués.

Puis, on t'a donné des sous. Une résidence en création à la Place des Arts, avec la danseuse Anne Le Beau. Trois ans plus tard, ta compagnie et celle de Mme Le Beau coproduisent Suie, dans le cadre de la saison de Danse Danse. Or, qu'est-ce que «l'artiste majeur» propose pour son grand retour? Cette provocation insignifiante, puérile de la part d'un créateur de 43 ans...

Rouge sang 

Comment expliquer que je n'ai pas cru une seconde à ton credo: il faut «résister» à la mode et à la pression médiatique afin de ne jamais refaire «LA recette»; un autre Pornographie des âmes, un autre Un peu de tendresse, bordel de merde...

C'est ton droit. Toutefois, tes paroles me semblent vides de sens. Elles ne servent qu'à justifier ton absence de proposition artistique. 

Fais-tu encore de l'art ou te grattes-tu le bobo en public?

Dans ta pièce, il y a de la suie sur le corps de tes interprètes, mais surtout du sang qui dégouline. De partout! Jusqu'au fond de la salle, comme l'illustrent la vidéo d'animation à la fin et ce corps lacéré par un long couteau.

Avant toi, Artaud, Rimbaud, Lautréamont, Grotowski et tant d'autres ont canalisé leur souffrance dans l'art, en explorant les confins de leurs ego.

À la fin du spectacle, lorsque tu demandes aux spectateurs d'éteindre leur téléphone - parce qu'on aime bien jouer avec les codes en danse contemporaine -, tu ajoutes, ultime provocation: «Si vous n'aimez pas ça, vous pouvez toujours sortir...» Comme une vingtaine de personnes avant cela, trois spectatrices se sont alors levées avec empressement. En sortant, elles ont félicité ton chien pour sa performance! 

Est-ce ainsi que ton talent te sert, Dave?

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE