La chorégraphe Danièle Desnoyers s'apprête à présenter son nouveau spectacle, Paradoxe Mélodie, à Montréal avant de s'envoler à Paris où elle est attendue au prestigieux Théâtre national de Chaillot. La Presse a assisté à une répétition de cette création qui met en vedette 10 danseurs de la compagnie et une harpiste.

La danseuse Karina Champoux pince les cordes d'une harpe acoustique placée au milieu de la scène avant de faire vibrer son corps au son dissonant de l'instrument. Elle s'engage ensuite dans un solo, puis dans un duo, avant que les autres danseurs ne s'élancent dans une chorégraphie au sol, où les interprètes créent des effets de ralentis et d'accélération.

On est loin de l'effet apaisant habituellement ressenti à l'écoute de la musique de harpe... et c'est exactement ce que veut Danièle Desnoyers.

«C'est la portion la plus théâtrale du spectacle, nous dit la chorégraphe, qui a créé cette pièce à Ottawa l'été dernier dans le cadre du festival Danse Canada. On défie l'imagerie de la harpe, qui a une dimension céleste et romantique très attirante, mais qui nous propose aussi de la déjouer. On avait besoin de la déconstruire.»

Outre Karina Champoux, qui a été la muse de Dave St-Pierre, on retrouvera les danseurs habituels de la compagnie, dont Pierre-Marc Ouellette, Jason Martin, Tal Adler, Molly Johnson et Anne Thériault.

Dix danseurs au total: un bonheur pour Danièle Desnoyers, qui privilégie les chorégraphies de groupe.

Rassurez-vous, la distorsion de la harpe est passagère. On retrouve vite le son pur de l'instrument, interprété par Éveline Grégoire-Rousseau, mais Danièle Desnoyers l'a mêlé à la musique électroacoustique de Nicolas Bernier. Un compositeur avec qui elle s'est trouvé beaucoup d'affinités depuis sa dernière création, Sous la peau, la nuit, et qui a composé tous les morceaux de Paradoxe mélodie.

«J'aime la musique électroacoustique, nous dit la chorégraphe. La démarche des compositeurs se rapproche beaucoup de la nôtre. Leur matière est souvent très abstraite, comme la nôtre. Leur rapport au temps, aussi. Quand on mêle la danse à cette musique, ça crée une friction qui est accentuée ici par la présence de la harpe, qui invite à une forme d'élévation.»

Appel de frictions

Des frictions, voilà qui résume bien la démarche de Danièle Desnoyers dans cette pièce construite sur le thème des rencontres. D'autant plus qu'avec 10 danseurs sur scène, la chorégraphe de Discordantia a réussi à créer des tensions entre l'individu et le groupe. Les frictions s'expriment alors autant dans la musique que dans les mouvements.

«Les danseurs se côtoient, s'observent, entrent en relation, précise Danièle Desnoyers. À travers la danse, on peut dire beaucoup de ces rencontres, à cause de l'énergie qui est propulsée dans le mouvement.»

«J'ai toujours aimé que la danse soit abstraite et que la théâtralité se dégage de la structure, ajoute-t-elle. C'est en travaillant sur une matière abstraite que les images théâtrales émergent.»

Cette pièce n'est pas exempte d'humour, Danièle Desnoyers trouvant aussi le moyen de surprendre le spectateur par le parcours engagé et pulsif de ses danseurs.

Dans un segment de Paradoxe mélodie, deux danseuses se déplacent ensemble au son de la harpe dans des robes à froufrous qu'elles tiennent dans leurs mains comme si elles avaient un bébé dans les bras. L'une d'elles fredonne tout doucement un chant en l'entrecoupant de petits cris stridents, qui font d'ailleurs sursauter son amie...

«Je voulais jouer sur ce cliché du romantisme en associant la belle robe à la musique de la harpe. Mais la fille qui pousse des cris est psychotique. Comme le son de la harpe peut être dissonant. Cette dualité m'intéresse, parce qu'on ne peut pas deviner que sous le vêtement, cette fille-là est hyper imprévisible et qu'elle a un rapport de dépendance affective avec son amie, qui veut juste s'enfuir.»

Ce sont ces contrastes entre la harpe et la musique électroacoustique, entre le vêtement et l'âme de celle qui la porte, qui sont à l'origine du titre de la pièce, Paradoxe mélodie.

Les costumes auront des teintes de gris. Eux aussi seront mis en contraste avec des tons de jaune ou de rouge. «Le gris est une couleur que je trouve extrêmement belle, indique la chorégraphe. C'est beaucoup plus un gris brillant. Les éclairages de Marc Parent donnent une présence au lieu et à la couleur des vêtements. Il y a une prépondérance de gris, mais on joue aussi avec les contrastes.»

Sacre à Chaillot

À peu près toutes les pièces de Danièle Desnoyers (une quinzaine) ont été présentées à Paris au fil des ans. Notamment aux Rencontres chorégraphiques internationales Seine-Saint-Denis, qui la soutiennent depuis ses débuts.

Au Théâtre de Chaillot, qui la reçoit pour la première fois, les attentes sont grandes. «Danièle Desnoyers avance en majesté, peut-on lire dans le programme. Cette première visite place du Trocadéro a les allures d'un sacre.» Aucune pression au Carré des Lombes!

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Au Théâtre Maisonneuve du 30 avril au 2 mai. Une présentation de Danse Danse.