«On n'aimera plus jamais comme avant.» Il y a un peu plus de 30 ans, l'apparition du sida changeait pour toujours la manière de vivre le désir, la sexualité et l'amour. Le danseur et chorégraphe français Thomas Lebrun propose à partir de demain à l'Agora de la danse Trois décennies d'amour cerné, une création en quatre tableaux illustrant la manière dont le VIH a modifié notre façon d'aimer.

En 1981, Thomas Lebrun n'avait que 7 ans. Mais il se souvient très bien que c'est à cette époque qu'il a entendu parler pour la première fois du sida, cette terrible maladie qui décimait alors depuis cinq ans déjà la communauté gaie de San Francisco.

«Je sentais déjà ma différence et j'ai été très longtemps hanté par la peur», explique Thomas Lebrun, lui-même homosexuel. «Je me souviens de mon premier test de dépistage. Je n'en dormais plus! J'ai un physique plutôt rondelet et je me rappelle que vers 25 ans, j'ai perdu beaucoup de poids. Les gens me demandaient si j'avais le sida alors que, pour une fois, j'avais maigri sans faire de régime!», raconte le chorégraphe.

La création de Trois décennies d'amour cerné est née de la volonté de Thomas Lebrun de chorégraphier un solo pour Anthony Cazaux, un des danseurs de sa compagnie avec qui il travaille depuis huit ans.

«Nous sommes quasiment tous de la même génération et je voulais faire une pièce qui parlait du sida, mais j'avais surtout envie de montrer comment ça avait perturbé nos vies et notre évolution en tant qu'êtres humains, hommes et homosexuels. Surtout que pendant longtemps, le sida a été mis en avant comme le «cancer gai»», explique le chorégraphe.

Risques, peur, doute et solitude

Alors que le débat sur le mariage homosexuel battait son plein en France, Thomas Lebrun s'est investi dans la création de quatre tableaux sur l'amour cerné par les risques, la peur, le doute et la solitude depuis l'apparition du VIH.

Dans le solo d'Anthony Cazaux intitulé Les risques, Thomas Lebrun a ainsi travaillé de manière chronologique, de la fin des années 70 à San Francisco, avec l'assassinat de Harvey Milk, jusqu'à plus récemment, avec la manière dont un adolescent peut fermer les yeux sur les risques de contracter le sida. On retrouve notamment dans le premier segment des archives audio telles que l'annonce du «cancer gai» à la télévision américaine ou des extraits de documentaires.

Dans De peur, Thomas Lebrun a voulu montrer que le sida avait eu les mêmes conséquences dans la vie des couples hétérosexuels, mettant en scène Anne-Emmanuelle Deroo et Raphaël Cottin dans la peau d'un couple qui hésite et n'arrive pas à se donner l'un à l'autre.

Troisième tableau de Trois décennies d'amour cerné, De doute est un solo pour Anne-Sophie Lancelin qui illustre la peur de passer un test de dépistage et d'apprendre une terrible nouvelle.

«La maladie était si taboue que, adolescents, on se demandait si on avait vraiment pris des risques ou pas et on se rongeait de l'intérieur sans savoir si c'était le cas», raconte Thomas Lebrun, qui interprète quant à lui De solitude, le dernier solo de cette pièce.

«Il peut s'agir de la solitude due à la perte d'un partenaire ou celle que l'on vit en préférant ne pas prendre de risques en restant seul», dit-il.

La trame sonore de Trois décennies d'amour cerné ne contient pratiquement que des reprises comme Wonderful Life de Black ou Crazy in Love de Beyoncé, mais aussi du Patti Smith. «J'aime travailler avec de la musique populaire. Pour moi, la danse doit pouvoir toucher tout le monde. Je ne veux pas faire une danse pour l'élite. Je suis même limite contre!», conclut le chorégraphe et directeur du Centre chorégraphique de Tours qui sera en tournée pour encore 130 représentations.

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À l'Agora de la danse du 23 au 26 septembre.