Tragédie a commencé jeudi sa procession humaine en sol montréalais, qui prendra fin ce soir, sur la scène du Théâtre Maisonneuve. L'oeuvre pour 18 danseurs - nus comme des vers du début à la fin - est totalement hypnotique et construite avec une précision méthodique qui force l'admiration.

Durant les 90 minutes que dure Tragédie, évoluent sur cette scène, dans une marche sans répit, neuf hommes et neuf femmes aux physionomies bigarrées, comme un échantillon de la diversité humaine. Des corps simplement humains, offerts aux regards, ni sexuels ni vulnérables. Ils évolueront ensemble sans jamais réellement se toucher, comme autant d'individualités rassemblées, mais distinctes.

Le chorégraphe Olivier Dubois instille, lentement mais sûrement, sa mathématique des déplacements au fil d'une chorégraphie d'une précision sans faille, qui glisse lentement de l'ordre imposé et de la répression de l'individualité à une finale extatique.

De l'ordre au chaos

La mise en place du propos dure de longues, très longues minutes - près du tiers de la pièce. D'une exactitude presque chirurgicale, ce manège hypnotique finit par user les nerfs alors qu'au son aliénant d'un tambour au rythme militaire, les 18 corps marchent d'un pas affirmé, le corps neutre et le regard fixe.

Émergeant du rideau à l'arrière-scène, ils avancent - par deux, par quatre, par huit, tous ensemble - jusqu'au devant de la scène, puis retournent vers le fond. Une marche dépersonnalisée, où chacun a la même foulée et effectue le même nombre de pas, et où le spectateur-voyeur a tout le loisir de détailler leur physionomie.

On finit par se demander où Dubois veut en venir. Mais lentement, imperceptiblement, le chorégraphe installe son jeu d'une main de maître et avec une rigueur implacable.

Après une brève suspension, la marche reprend, mais quelque chose a changé, l'ordre est menacé. Les déplacements s'accélèrent, deviennent plus frénétiques, les lignes droites se brisent, les corps, secoués, convulsés, veulent s'exprimer, se libérer de leurs entraves.

Dès ce moment, une montée quasi coïtale s'installe, que rien ne pourra arrêter, entraînant avec elle les danseurs, qui font de leurs corps en transe une véritable offrande à la danse.

D'impressionnants mouvements de groupe aux gestes synchronisés, mais sauvages et emportés, à un rassemblement tribal de corps désinhibés festoyant sur une musique techno, en passant par les simulations solos et mécaniques d'actes sexuels, la pièce plonge dans le chaos, jusqu'au délire orgiaque, exutoire, jusqu'à la course effrénée à la poursuite invisible.

Dubois offre ainsi, malgré certains passages qui usent la patience et sans jamais donner une lecture clés en main, un instantané à la fois jouissif et troublant de l'humanité et de sa quête incessante d'absolu et d'éternité. Pour amateurs avertis ou explorateurs impétueux.