Ces trois prochaines semaines, Dave St-Pierre et une demi-douzaine de danseurs transforment la verrière du Musée des beaux-arts en studio de répétition. Rencontre avec un drôle de «petit animal».

Depuis toujours, un feu habite le corps de Dave St-Pierre, une énergie brute qu'il consume à travers des oeuvres à grand déploiement. Malgré cette vitalité, le chorégraphe de la Pornographie des âmes a la curieuse impression de «ne jamais aller au bout de ses idées».

Cette année, alors qu'il va avoir 40 ans, St-Pierre a senti le besoin de prendre un peu de recul. Physiquement et mentalement. «J'étais à la maternelle de la création, dit-il. Je créais comme un enfant de 3 ans qui «garroche» de la peinture sur du papier sans se poser de questions. Désormais, je veux être plus précis dans mes pièces. Je vais travailler de petites formes avec des groupes plus restreints.»

Dans cet ordre d'idées, il a demandé à Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, de l'accueillir en résidence de création. Depuis mardi, il occupe avec une demi-douzaine d'interprètes sa grande verrière du niveau 3.

«Je ne voulais pas simplement faire un spectacle au MBAM, comme l'ont fait avant moi Marie Chouinard et Margie Gillis. Le but, c'est de faire entrer le public dans un studio de répétition. J'ai envie que les visiteurs aient accès à la proximité de mon travail avec les danseurs, et qu'ils assistent au processus de création. Sans devoir être dans un mode de représentation.»

Un supplément d'âme

«Je crois que les arts se contaminent entre eux, explique Nathalie Bondil, jointe par téléphone à Naples. Un artiste ne crée pas de manière cloisonnée. Il trouve son inspiration un peu partout. Un musicien peut s'inspirer des couleurs d'un tableau, ou d'un paysage. Alors, que Dave St-Pierre s'approprie un coin du Musée pour en faire son studio de création durant trois semaines, ça ajoute un supplément d'âme au Musée.»

Dave St-Pierre travaille sur deux projets en parallèle. Raw, une pièce qui sera créée en Europe et défendue par la comédienne Marie-France Marcotte et cinq danseuses. Puis Fake, un duo qui sera présenté en février 2015, à Lyon. Dave St-Pierre y est accompagné du jeune acteur Alexandre Lavigne... qui interprète la chanteuse Céline Dion!

«C'est la rencontre (improbable) entre Céline et moi, explique le chorégraphe. Dans Fake, j'interroge notre conception rigide de l'art. J'oppose les notions de pureté et d'hybridité, de kitsch vs de sublime, le vrai du faux. Y a-t-il un dialogue possible entre l'art contemporain et le divertissement? Est-ce qu'un artiste est plus «vrai» si son art est moins commercial?

«Pour moi, ça ne fait aucun doute que Céline est authentique dans sa démarche artistique, poursuit St-Pierre. À l'inverse, j'ai aussi un côté commercial, «bling-bling», dans mes créations, ou lorsque je travaille pour le Cirque du Soleil.»

Animalité et humanité

Dans la collection permanente du MBAM, l'oeuvre préférée de St-Pierre est une sculpture de Tony Matelli, exposée dans une galerie au sous-sol du Musée. C'est une fable animalière très violente où l'on voit deux terrifiants petits singes dévorer une espèce de gros gorille en latex... «J'ai toujours eu l'impression d'être une bibitte, une petite bête, dans le milieu de la danse, confie St-Pierre. Je n'ai pas le corps ni la posture d'un danseur ou d'un acrobate. À l'école, j'étais déjà considéré comme un outcast, mais ça ne m'a jamais dérangé.»

En février dernier, le chorégraphe a fait une sortie publique très remarquée. En marge du succès de sa trilogie au Théâtre de la Ville à Paris, il annonçait qu'il fermait sa compagnie et qu'il ne présenterait plus de spectacle à Montréal! Deux mois plus tard, St-Pierre est plus ouvert à présenter Foudres en sol montréalais, mais avec la trilogie au complet et 30 interprètes sur scène... quitte à le produire lui-même!

Plus rien à perdre

À la suite de sa sortie publique, il a reçu plusieurs messages et appuis d'artistes de tous les milieux. Et le danseur a réalisé une chose: «Les artistes ne vivent pas uniquement dans la pauvreté au Québec, mais aussi dans la peur! Ils s'empêchent de dénoncer les choses parce qu'ils ont peur de perdre leurs subventions, la reconnaissance du milieu, des diffuseurs, etc. Moi, je n'ai rien à perdre. Au pire, j'irai travailler ailleurs.

«Dans ma vie, on m'a toujours dit quoi faire et comment faire, conclut-il. Finalement, j'ai toujours fait à ma manière. Si j'avais écouté tout le monde, je ne serais pas rendu où je suis aujourd'hui.»

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Jusqu'au 27 avril, au Musée des beaux-arts de Montréal.