Jusqu'à ce soir, l'Agora de la danse reçoit la compagnie torontoise Dancemakers. Le chorégraphe Michael Trent y propose Loveloss, un objet fugace et ténu. Sans parler de chef-d'oeuvre, la pièce pour cinq danseurs réussit à façonner une perpétuelle impression de flottement, un état tout indiqué pour explorer l'effet physique du deuil.

Choix paradoxal mais pertinent: c'est dans un espace lumineux et ouvert, sur un sol tendu de papier blanc qui crisse sous les pas, que les danseurs vont offrir leur perte en partage aux spectateurs, assis à proximité, tout autour de l'espace scénique.

Dans Loveloss, ni drame ni excès. La pièce basée sur l'improvisation se compose plutôt de stases, de matière en suspension, tant dans la gestuelle que dans le rythme et les déplacements hachurés.

Le premier danseur, Simon Portigal, entre en scène, le regard flou. Souvent prostré, il a l'air emmuré dans ses pensées. Ses gestes sont brefs, inachevés et il chancelle, comme entraîné hors du centre contre son gré.

Lorsque Ellen Furey vient le rejoindre, elle s'avère déjà un peu plus volontaire que lui: elle arrive au petit trot et tente de briser son isolement en simulant certains des gestes de Simon. Trois autres danseurs viendront, un à un, les rejoindre: Robert Abubo, Amanda Acorn et enfin Benjamin Kamino. Tous bougent de manière esquissée, avec des gestes inachevés, comme s'ils en étaient encore à marquer la chorégraphie.

De toute la pièce, il semble que seule la poudre ocre qui se répand graduellement à la grandeur de la scène, sous l'action des pas, laisse une trace quelconque, fût-elle aussi en constante mutation.

Parfois, les corps et les esprits engourdis se délient un peu, et certains se font alors plus résolus que d'autres. Peut-être progressent-ils simplement vers un autre stade du deuil?

Le temps qui s'arrête

Cela dit, Loveloss n'a rien de linéaire. La conscience de la personne endeuillée flotte quelque part entre son corps et son esprit. Michael Trent et ses interprètes rendent parfaitement l'impression du temps qui s'arrête, du souffle qui se coupe et du monde qui chavire tout d'un coup.

Loveloss offre plusieurs beaux moments de recueillement et de communion. La pièce a le mérite de ne jamais verser dans la caricature, ni d'emprunter une facture théâtrale: le délicat groupe n'impose rien. Il mise plutôt sur une série d'impressions, d'états, auxquels les spectateurs peuvent s'identifier, à leur rythme.

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Jusqu'à ce soir à l'Agora de la danse.