La colère gronde à Saint-Pétersbourg après l'«insolente» nomination à la tête de la prestigieuse Académie de la danse Vaganova de Nikolaï Tsiskaridzé, ex-danseur étoile du Bolchoï et protagoniste du scandale d'une attaque à l'acide.

C'est la fin de la tradition et la perte de l'indépendance pour cet établissement vieux de 275 ans où ont été formés Anna Pavlova, Mikhaïl Barychnikov et Rudolf Noureev, déplorent les uns.

D'autres s'inquiètent de la réputation de ce danseur de 39 ans aux qualités artistiques reconnues mais dont le Bolchoï s'est séparé en juin après l'avoir accusé presque ouvertement d'être l'instigateur de l'attaque à l'acide contre le directeur artistique du théâtre Sergueï Filine.

La nomination de M. Tsiskaridzé a été annoncée au personnel de l'Académie Vaganova lundi, deux figures clé de l'établissement, la rectrice Vera Dorofeïeva et la directrice artistique Altynaï Assylmouratova, très respectées dans l'établissement, ayant appris le jour même qu'elles étaient remerciées.

Résumant le sentiment général, la danseuse mondialement connue Diana Vichneva, diplômée de l'académie Vaganova, s'est dite «indignée» de la façon «insolente» dont a été nommée la nouvelle direction.

Moralement irréprochable?

«Il n'y avait pas de raison de changer la direction, personne dans le monde de la danse de Saint-Pétersbourg n'a été consulté. Quoi qu'il en soit, le recteur de l'Académie Vaganova doit avoir une formation appropriée», a déclaré Mme Vichneva à l'agence publique russe Ria Novosti.

Tsiskaridzé est diplômé de l'Académie de chorégraphie de Moscou, connue pour un autre style de danse et traditionnellement considérée comme moins prestigieuse que sa rivale de Saint-Pétersbourg.

«L'Académie, c'est avant tout des enfants et son dirigeant doit être moralement irréprochable», a poursuivi Diana Vichneva.

Avant d'être renvoyé du Bolchoï en juin, Nikolaï Tsiskaridzé s'était engagé dans une querelle acerbe avec la direction du théâtre après l'attaque à l'acide commise en janvier contre son rival Sergueï Filine.

Le directeur du Bolchoï, Anatoli Iksanov - limogé depuis -, avait presque ouvertement accusé M. Tsiskaridzé d'être derrière cette agression.

Le danseur avait pour sa part mis en doute la gravité des blessures de M. Filine, qui a pratiquement perdu la vue. Il comparaît désormais en tant que «témoin de la défense» dans le procès du danseur du Bolchoï Pavel Dmitritchenko, principal suspect de l'agression.

«Nous sommes sous le choc», a déclaré à l'AFP Anna Semenova, dont la fille Tatiana est élève de l'Académie Vaganova.

«Tsiskaridzé est un artiste, mais le recteur doit avoir des talents administratifs. Il ne s'acquittera pas de sa tâche», prédit-elle.

La danseuse étoile du théâtre Mariinski Ouliana Lopatkina, qui a été nommée directrice artistique de l'Académie, est au pic de sa carrière de danseuse et «a d'autres chats à fouetter», poursuit Mme Semenova.

Crime contre le ballet russe

L'un des professeurs de l'Académie, Elena Cherstneva, a qualifié ces remaniements de «crime envers la Russie qui est célèbre pour son école de la danse», dans une déclaration disponible sur youtube où elle a déclaré qu'elle donnait sa démission.

«Je ne comprends pas ce que fait notre ministre de la culture», souligne Ilia Kouznetsov, soliste du théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg et directeur d'une école de la danse pour enfants, en prédisant une «émigration de masse» de danseurs et de professeurs.

En se débarrassant de Vera Dorofeïeva et d'Altynaï Assylmouratova, qui connaissaient tous leurs élèves par leur nom, «les fonctionnaires ont privé l'Académie de son coeur et de son âme», a souligné M. Kouznetsov dans une interview à l'agence Rosbalt.

«Tout le monde est sous le choc mais personne ne peut rien faire (...) Nous sommes au seuil d'une révolution», a-t-il ajouté.

La nomination de Tsiskaridzé intervient aussi après plusieurs semaines de conflit entre l'Académie Vaganova, une école fondée en 1738 qui forme notamment les danseurs pour le Mariinski, et le directeur de ce dernier théâtre, Valeri Guerguiev, qui proposait de réunir les deux institutions au sein d'une même structure.

«On ne peut plus être sûr que l'Académie restera indépendante. Maintenant tout est possible», soupire Anna Semenova.