Nul n'est prophète en son pays. Le travail de Benoît Lachambre est davantage reconnu en Europe qu'ici au Québec. Pourtant, depuis 30 ans, le chorégraphe est un précurseur, un phare et un ambassadeur de la nouvelle danse québécoise. Sa prochaine création, Prismes, avec la troupe de Montréal Danse, prend l'affiche ce soir à l'Agora.

L'air exaltant de la Cinquième de Beethoven résonne tandis que les six danseurs s'exécutent. Ils portent de longues robes colorées et des casques de construction; la musique est à la fois un complément et en opposition avec leur gestuelle. Tel un ballet revu et corrigé par un artiste visionnaire, marginal et absolument moderne.

On peut voir ces images dans la vidéo promotionnelle de Prismes, nouvelle pièce de Benoît Lachambre, sur laquelle il travaille depuis trois ans... mais qui est à l'affiche quatre jours seulement. Avec Prismes, l'étonnant chorégraphe entraîne donc les six interprètes de Montréal Danse dans des jeux de perception sur la lumière, la couleur et le corps. Il collabore avec Kathy Casey à titre de conseillère artistique, avec le compositeur Laurent Maslé et la conceptrice d'éclairages Lucie Bazzo. Avec cette dernière, il a travaillé sur les couleurs et la luminosité pour démontrer, «de manière tangible, comment le corps rayonne dans l'espace».

Travail somatique

Benoît Lachambre qualifie son travail de somatique. «Avec Prismes, je me questionne sur le rayonnement du corps. Je veux rendre visible l'énergie à l'intérieur de nous, voir comment ça bouge en et autour de nous.»

«Je suis fasciné par l'énergie et les stimuli du corps, poursuit-il. Les stimuli transforment notre notion de la réalité. L'enjeu principal de mon travail chorégraphique reste le corps comme filtre de perception. Ça va très loin, la conscience du geste. On réalise que les limites de notre corps sont plus étendues qu'on le pense. C'est immense!»

Dans les années 80, Benoît Lachambre a amorcé sa carrière de danseur avec la compagnie Marie Chouinard. En 1991, il se fait happer par une voiture et doit cesser ses activités pour «rééduquer son corps» afin d'être capable de fonctionner, de recommencer à danser. Il se tourne vers la technique du releasing, qui combine kinesthésie, improvisation et méthode de Feldenkrais. Remis, il fonde sa propre compagnie en 1996 et poursuit une carrière remarquable.

Provocateur?

On l'a parfois qualifié de gourou et d'anticonformiste. Est-ce un artiste provocateur? «Je ne crée pas pour provoquer les gens... mais pour aiguiser nos sens, répond-il. Je me laisse aller vers ailleurs. Je prends des risques. Car je veux toujours m'étonner et jamais me restreindre ou me limiter à une forme, une signature.»

Dans Prismes, le chorégraphe veut libérer le corps de ses repères habituels et s'ouvrir à la danse moderne, lui qui a longtemps résisté au modernisme, privilégiant une gestuelle plus brutale, voire animale.

Mais adepte de l'esthétique queer, Lachambre remet de nouveau en question le genre féminin et masculin, et puise autant dans le classique que dans l'art populaire. Un personnage hors norme et un artiste qui mérite la reconnaissance du public d'ici.

_______________________________________________________________________________

Du 16 au 19 octobre, à l'Agora de la danse, à Montréal.