«Feu d'artifice pour les cinq sens», hommage à «toutes les Shéhérazade» qui luttent au quotidien contre la «barbarie»: le nouveau spectacle de danse d'Angelin Preljocaj, inspiré des Mille et une Nuits, a enflammé Aix-en-Provence cette semaine lors de sa création mondiale.

Premier acte de ces Nuits créées au Grand théâtre de Provence, dans le cadre de Marseille, capitale européenne de la culture, une scène de hammam: douze femmes, torses nus, un foulard dans les cheveux, ondulent dans la vapeur d'eau, au son de la musique lancinante de Natacha Atlas.

Voyant en Shéhérazade, l'héroïne courageuse de ces contes orientaux, une «prémisse du féminisme», le chorégraphe français de 56 ans explique à l'AFP avoir voulu rendre hommage avec ce ballet à toutes celles qui comme elle, «par sa culture, son intelligence, son imagination, son verbe, se (dressent) tel un rempart contre la barbarie», citant en exemple la Yéménite Tawakkol Karman, récente prix Nobel de la Paix.

«C'est elle qui fait en sorte d'arrêter ce flot de cruauté, de massacres, que provoque ce roi qui veut se venger d'une tromperie et qui, chaque jour, épouse une femme et la tue au petit matin pour être sûr qu'elle ne le trompe pas», ajoute le danseur, dont la troupe est installée au Pavillon Noir à Aix-en-Provence depuis 2006.

Chacune des danseuses porte quelque chose de Shéhérazade, le «modèle de toutes les femmes méditerranéennes» qui luttent au quotidien contre la violence d'une société machiste. Habillées d'une petite robe rouge moulante et de hauts talons, alignées face au public, elles se déhanchent sur une version revisitée de It's a Man's World par la musicienne d'origine anglo-égyptienne, en adressant doigts et bras d'honneur au public.

Enchaînant les tableaux, Preljocaj joue avec l'érotisme et les relations soumission/domination, dans des corps-à-corps sensuels, les formes déliées des douze femmes et six hommes magnifiés par les costumes du couturier d'origine tunisienne Azzedine Alaïa.

«Azzedine Alaïa était ravi, ça lui permet de renouer avec des choses qu'il connait très bien avec son style épuré et radical», se réjouit le chorégraphe, comparant l'art du couturier à de la «calligraphie».

Dans une autre scène, les danseuses fument la chicha, une pratique majoritairement masculine dans les pays musulmans, en soufflant la fumée sur des hommes couchés à terre.

Emblème de la world music, Natacha Atlas, qui reprend également dans le spectacle You Only Live Twice, un thème de James Bond, représente pour Preljocaj un temps «où on croyait encore que de l'autre, l'étranger, peut venir l'avenir», à l'opposé du monde actuel «qui se referme de plus en plus sur ses propres valeurs, où chacun s'accroche et s'arc-boute sur ses convictions».

Les Milles et une Nuits, «des contes écrits à plusieurs mains, inspirés d'histoires qui viennent d'Inde, de Perse, d'Arabie et jusqu'au Maghreb», formant comme «un arc culturel extrêmement riche autour du pourtour méditerranéen face à Marseille», sont très «inspirants, à la fois mystérieux et sensuel: une sorte de feu d'artifice pour les cinq sens», souligne le quinquagénaire, qui avait déjà réussi en 2008 l'adaptation de Blanche Neige, un autre conte inscrit dans nos mémoires collectives.

Les Nuits partent en tournée en France mais également dans le monde (Italie, Kazakhstan, Liban, Allemagne, Autriche, Russie, États-Unis) pendant plusieurs mois.