«Open the leg, pliez!». La danseuse-chorégraphe américaine Carolyn Carlson, qui aura 70 ans jeudi, continue de danser en solo, de créer des ballets et d'enseigner la danse contemporaine pour, dit-elle, partager le «don» qu'elle a reçu.

Dans le studio lumineux du Centre chorégraphique national (CCN) de Roubaix, cette femme blonde et longue, en pull noir et pantalon émeraude, les cheveux noués en chignon, s'arcboute, se redresse, tend les bras face à une dizaine de danseurs qui ne la quittent pas des yeux, imitant chacun de ses gestes. «Voilà... beautiful!», leur lance-t-elle.

«Je suis une chorégraphe qui aime travailler avec les autres, partager et échanger», explique dans un entretien à l'AFP la danseuse qui quittera en décembre, à la fin de son contrat, le CCN qu'elle dirige depuis 2004.

«Elle est très généreuse dans son travail», assure Sara Orselli, l'une de ses danseuses. «Elle donne tellement qu'on a envie de lui donner encore plus».

Mi-février, Carolyn Carlson a présenté à Roubaix son dixième solo, Dialogue with Rothko, inspiré de l'oeuvre du peintre expressionniste abstrait américain Mark Rothko, auquel elle a consacré un recueil de poèmes. «J'aime écrire des poèmes, c'est une autre façon de partager qui, pour moi, est très proche de la danse», dit-elle.

Elle a grandi à San Diego, Californie. Ses grands-parents sont des émigrés finlandais, son père est vétérinaire, sa mère, qui rêvait d'être chanteuse d'opéra, chante à l'église luthérienne.

Elle crée ses premiers ballets à 10 ans, pour John et Dwight, ses cadets. «Mes pauvres frères! J'avais l'habitude de les déguiser, nous étions des rois, des reines ou autre chose».

Elle apprend la danse classique de 8 ans à 18 ans, avant d'étudier la philosophie et la poésie à l'université de l'Utah. Elle y découvre la danse moderne et participe à un atelier d'Alwin Nikolaïs, son «maître». Elle restera sept ans dans la compagnie du danseur-chorégraphe américain profondément novateur, à New York où elle découvre le bouddhisme, rencontre Andy Warhol et les hippies.

«C'était génial! C'était l'amour, l'optimisme et un peu naïf car on allait changer le monde... avec de l'amour», se souvient-elle. «J'y crois toujours, je suis une personne optimiste».

Avec Alwin Nikolaïs, elle commence à danser en Europe. Nommée en 1974 étoile-chorégraphe au Ballet de l'Opéra, elle fait entrer la danse au Palais Garnier, une révolution.

Elle s'installe ensuite avec son compagnon, le compositeur René Aubry, à Venise, où elle dirige le Teatrodanza de la Fenice, et où elle met au monde Aleksi Aubry-Carlson en 1981. Elle crée juste après Blue Lady, son solo mythique.

«Blue Lady, elle l'a fait dans le salon», se souvient son fils, âgé de 31 ans, compositeur de musique. «Son travail faisait partie du quotidien de la famille». «Quand elle doit faire quelque chose, elle ne le remet jamais au lendemain, et elle fait les choses à fond».

Carolyn Carlson danse Blue Lady en robe rouge pendant une dizaine d'années, à travers le monde entier.

Après Venise, elle travaille à Paris, à Helsinki et Stockholm puis retourne à Venise diriger la section danse de la Biennale jusqu'à son arrivée à Roubaix en 2004. En janvier, elle ira créer une pièce à Bordeaux.

«Elle vieillit admirablement», juge le danseur-chorégraphe Didier Deschamps, directeur du Théâtre national de Chaillot à Paris avec lequel Carolyn Carlson entamera une collaboration fin 2014.

«Elle ne prétend plus faire ses célèbres arabesques: elle exploite de nouveaux possibles du mouvement à travers l'évolution de sa propre capacité physique», souligne-t-il.

«Je ne lève pas les jambes au ciel, admet la danseuse en riant, de toute façon, j'aime les mains car ce sont les mains qui communiquent». «Et l'esprit ne vieillit jamais».