«Ambiguïté ou ambivalence?» Devant sa tasse de thé, Catherine Gaudet s'interroge, sourcils froncés au-dessus de ses grands yeux clairs. C'est une fille qui réfléchit, se pose des questions, ne se satisfait ni des réponses ni des gestuelles vues, revues et convenues. Comme la danse, son goût de l'introspection est un mouvement perpétuel.

«Je m'ennuie», lâche-t-elle à mi-voix pour résumer l'insatisfaction qu'elle ressent devant les spectacles de danse. En ce moment? «Non, depuis toujours.»

Consciente de l'étonnement que créé une telle déclaration de la bouche d'une danseuse et chorégraphe, elle ajoute: «Je sais, c'est très confrontant pour moi, parce que la danse demeure ma passion. J'ai toujours su que la danse serait ma vie. Je le savais à 5 ans et je l'ai clairement décidé vers 10 ans. C'est comme un appel. Pour moi, la danse, c'est sacré.»

C'est que Catherine Gaudet place la barre très haut. Là où la danse devient transcendance, lie l'homme à l'univers, où la chair humaine traduit le mouvement global de la vie. Or, en salle, elle ne trouve que des spectacles: «C'est la routine, explique-t-elle. On va dans un lieu, on s'assoit, on regarde, on rentre chez soi. Rien de subversif, rien qui fasse réagir.» Elle est entière, et elle cherche. Elle voudrait retrouver la dimension absolue de la danse.

«Je me suis dit: «Arrête donc de chialer, trouve pourquoi t'es insatisfaite.»» C'est ainsi qu'après son bac en danse, obtenu en 2003 à l'UQAM, elle a terminé une maîtrise, en 2012. Sujet: l'ambiguïté comme vecteur de sensations. «Ce travail de maîtrise a changé ma vie, dit-elle. J'ai côtoyé des penseurs. Ça m'a apporté de la profondeur. Ça m'a permis de définir ce qui m'intéressait et aussi de développer une gestuelle sans avoir besoin d'une dramaturgie extérieure pour transmettre mon propos. Le corps ne ment pas. À lui seul, il dit l'essentiel.»

C'est dit sans ambivalence: «L'ambivalence, poursuit-elle, c'est le choix entre blanc et noir, ça ne m'intéresse pas. Je traque l'ambiguïté, cet état trouble et insaisissable qui transparaît au détour d'un geste, que le corps trahit en laissant transparaître le caché. Parce que l'ambiguïté, c'est vraiment subversif. Tout le reste a déjà été fait.»

Le reste, quoi? Elle sourit, défait ses longs cheveux, puis les rattache au sommet du crâne: «Les 3 «s», précise-t-elle: sexe, sang, souillure. On a tout fait, y'a plus rien là. On est exposés à tellement d'images d'une violence et d'une folie extrêmes qu'en comparaison, ce qu'on montre sur scène, c'est gentillet. Si on ne nous montre pas d'images symboliquement choquantes, on ne réagit plus.»

Mais Catherine Gaudet ne va pas tomber dans le piège. Cette Montréalaise trentenaire, lauréate en 2010 du prix David-Kilburn de la Fondation de l'UQAM (attribué à un jeune chorégraphe), membre du collectif iconoclaste de la 2e Porte à gauche, sait trop bien que l'ambiguïté se déploie à l'intérieur du corps et non dans sa surexposition facile. «Un seul «s» m'intéresse, conclut-elle: sensation. Je recherche la sensation qui va produire une gestuelle dans le corps de mes interprètes et révéler l'ambiguïté. C'est subversif de placer ainsi le spectateur face à sa propre ambiguïté, sans plus d'explication.»

Je suis un autre, de Catherine Gaudet, reprise au Théâtre de La Chapelle, du 16 au 18 janvier 2013.