Kaguyahime, de Jiri Kylian, est un ballet hautement stylisé, submergé dans des sonorités parfois déroutantes, qui s'avère d'abord aride; mais son esthétique lumineuse, voire lunaire, ses scènes de combat et la scénographie spectaculaire du deuxième acte finissent par séduire.

Adaptation contemporaine d'une légende japonaise par les Grands Ballets, Kaguyahime, créé en 1988 par le Nederlands Dans Theater, raconte l'histoire de Kaguyahime, princesse de la lune. Tombée du ciel pour apporter la paix sur Terre, sa beauté provoque plutôt l'avidité: malgré elle, Kaguyahime sème la discorde et la violence.

Le ballet est certes narratif, mais Kylian et son équipe de concepteurs, notamment Michael Simon qui signe décors et éclairages, nous transportent dans un univers non naturaliste d'épure hautement stylisé. La trame musicale interprétée en direct, atonale et omniprésente, mêle tambours kodo, gagaku (une musique de cour du Japon) et percussions occidentales.

Pour qui connaît Jiri Kylian, on est davantage ici dans l'esprit minimaliste de Stepping Stones, par exemple. On y reconnaît la gestuelle angulaire du chorégraphe, parmi laquelle se mêlent des lignes arquées qui se déploient, sous tension et souvent en lentes isolations. Au premier acte, alors que Kaguyahime descend de la lune, puis que ses soupirants tentent de l'envoûter, les danseurs semblent évoluer en apesanteur.

Eva Kolarova, qui interprétait Kaguyahime vendredi (Sarah Kingston en est l'autre l'interprète), bouge avec une grâce impériale. Cette danseuse issue du corps de ballet confère surtout à sa princesse une force tellurique et stoïque. La gestuelle imaginée par Kylian pour Kaguyahime - des pieds bien enracinés, un torse qui ploie sans cesse et des bras qui répondent à l'appel des hauteurs - rend parfaitement son déchirement intérieur.

Des scènes de danses au village confèrent une légèreté bienvenue au premier acte; elles sont vite remplacées par des combats acrobatiques. L'acte deux s'amorce en pleine guerre: Noirs contre Blancs, timbales contre tambours kodo et grondement en crescendo des percussions.

Une rafale de duos et de trios inspirés des arts martiaux (emprunt maintenant prévisible, mais novateur en 1988!) suggère l'ardeur du combat, tout comme les portés complexes et dynamiques, dont cette danseuse, poussée haut et loin par deux hommes comme un boulet de canon. Kaguyahime, témoin silencieux des agressions, se lamente en un déchirant solo au sol. Sa gestuelle rend encore l'omniprésente dualité entre la force de la gravité et l'envie de s'élever, présente chez elle comme chez les humains. Soudain, des kilomètres de tissu doré brisent la sobriété de la scénographie et achèvent de conquérir un public d'abord rébarbatif, et cela même si Kaguyahime prend fin sur un constat d'échec: la princesse laisse derrière elle un monde en chaos. Au final, ce ballet, difficile d'approche, s'avère un ajout risqué, mais stimulant au répertoire des Grands Ballets.

Kaguyahime de Jiri Kylian, par les Grands Ballets canadiens de Montréal. Jusqu'au 27 octobre, à la salle Wildrid-Pelletier de la Place des Arts. Info: 514-842-2112