Dans Orlando, la dernière création de Deborah Dunn, inspirée d'un roman de Virginia Woolf, on retrouve tout ce qui fait la signature de la chorégraphe: la finesse minutieuse et poétique, la rigueur d'une écriture singulière, la fusion réussie entre théâtralité, costumes, scénographie et musique, l'intelligence du propos et la vision audacieuse. Et le grain de folie qui emporte le spectateur dans une dimension décalée, par-delà le temps et l'espace. Un délice de soirée.

Dans le roman Orlando, Virginia Woolf met en scène un personnage androgyne anglais du XVIe siècle qui vit des largesses de la reine Élisabeth 1re. Amoureux transi et trahi par une belle Russe, il se réveille deux siècles plus tard en ambassadeur à Constantinople, transformé en femme, poétesse et à son tour amoureuse d'un aventurier britannique, son grand amour. Retournée à Londres, Orlando-femme vit de sa plume et fréquente la société littéraire mais aussi les bas-fonds. On la retrouve enfin deux siècles plus tard, en octobre 1928, où elle finit sa vie devenue une poétesse célèbre. Étrange roman, audacieuse narration, traversée des siècles, des genres et réflexion sur les arcanes de la vie et de la création.

Deborah Dunn parvient, dans ses choix scénographiques et chorégraphiques, à rester fidèle à la dimension littéraire, narrative, du roman, et en même temps à décoller complètement de cette source d'inspiration en élaborant un univers baroque, une plastique globale d'une grande beauté, une scénographie qui mêle le quotidien et le luxueux, la sophistication et le dépouillement.

L'attention particulière et judicieuse des lumières, des très nombreux costumes dont les personnages changent sans cesse, et qui tiennent une place déterminante, de la trame musicale exaltante et magnétique, tous les aspects sont minutieusement choisis et agencés. Le tout est d'une grande beauté en plus de réussir le passage à travers les siècles et les multiples épisodes de l'histoire racontée. Avec justesse, légèreté et surprise, un humour caustique qui créé un recul permanent et invite à se prendre au jeu sans en être dupe. Un magnifique hommage à la création et à l'imaginaire qui comme Orlando traversent les siècles et les impératifs de l'espace-temps sans jamais pâlir ni se départir de sa superbe.

L'originalité de la danse, qu'elle soit inspirée de la cour d'Angleterre ou très abstraite, en groupe à l'unisson ou en couple, marque et reste en mémoire. L'osmose entre les interprètes, leur virtuosité et leur énergie ne se départissent jamais de dérision, mais pas non plus d'une sensualité à fleur de peau. Un spectacle, à l'affiche de l'Agora de la danse jusqu'au 17 mars, qu'on veut revoir, le sourire aux lèvres.