Fort de la fascination, inattendue et persistante, de son premier solo autobiographique Miniatures (2008), José Navas revient avec Personae, nouvel autoportrait kaléidoscopique en six facettes magnétiques comme des éclats de miroir. Un peu plus sombre, plus mélancolique, que le précédent, empreint d'un désir d'intériorité en même temps que d'une tentation mystique, Personae offre le plaisir de retrouver ce danseur unique, extraordinairement fluide, son énergie communicative, son art impeccable de l'architecture du corps autant que de l'espace. Son univers singulier à nul autre pareil.

Vivaldi, Verdi, Rachmaninov, le lyrisme de la musique signe ses choix, entraîne immédiatement le spectateur dans une communion, une invitation à partager son goût d'une esthétique méditative, pure, parfaite, magnifiée par la lumière-matière signée Marc Parent, en touches de clair-obscur ciselées comme un tableau peint à la bougie. Mais il y a aussi Agustin Lara, sa voix nostalgique et sensuelle d'après-guerre sur laquelle Navas, en talons rouges mais sans parodier, suit les pas d'une femme qui a marqué son enfance et nourrit son imaginaire, souvenir de ses origines sud-américaines indélébiles. La voix de Patti Smith aussi, qui imprègne l'avant-dernière des six courtes pièces, alors que l'interprète offre un visage mi-humain mi-animal, plus torturé, qui tranche volontairement avec le reste. Autant de fusions parfaites entre la musique et le mouvement, entre la chair et l'esprit, un autoportrait entre terre et ciel, accompagné par des costumes sur mesure qui exposent la perfection physique du danseur.

Tout cela est réuni dans le final, majestueux, sur le Boléro de Ravel, dont Navas livre sa version personnelle, puissante, alors qu'il virevolte dans le rougeoiement d'une longue jupe de voile, en un crescendo qui clôt le spectacle comme une éruption volcanique. Le Boléro et le Sacre du printemps, deux étapes incontournables pour tout chorégraphe mature. Navas aura ainsi livré sa version de la pièce de Ravel, tandis qu'il créera son Sacre en 2013, à Bruges, avec l'Orchestre symphonique de Bruxelles. Navas annonce d'ailleurs vouloir danser son Boléro avec un orchestre live.

Périlleux sujet que l'autoportrait. La réussite de celui-ci tient à la pudique authenticité avec laquelle Navas aborde cet exercice impudique en soi. On regrettera quelques longueurs dans les changements de costume à vue qui heurtent la fluidité de l'ensemble comme un lien mal ajusté. Sans doute Personae mûrira-t-il avec les représentations et les années, mais déjà, dès sa création, ce nouveau solo offre un magnifique début à la saison de danse hivernale.

Personae, de José Navas, à la Cinquième Salle, jusqu'au 28 janvier à 20h.