Fidèle à son orientation artistique, qui consiste à proposer de la danse contemporaine dans des lieux inusités, le collectif La 2e Porte à gauche entraîne les spectateurs dans un bar de danseuses nues du boulevard Saint-Laurent, le Kingdom Gentleman's Club.

Histoire de voir jusqu'où on peut aller: plus loin, trop loin, plus cru, pas assez, complètement nu ou pas tout à fait.

L'objectif de cette équipe de huit chorégraphes et 11 interprètes - danseurs, comédiens et deux effeuilleuses - est d'expérimenter ce qui, des clichés du lieu ou des clichés de la danse contemporaine, va le plus influer sur l'autre.

Sur une scène de bar ou de théâtre, un corps nu est un corps nu, qui véhicule avec lui, dès qu'on l'expose dans la promiscuité qu'entraîne la mise en représentation, un rapport de séduction, un rapport de fascination, un rapport d'argent, un rapport de pouvoir exercé ou subi. Un jeu de miroirs en série, biaisés et troubles, entre le danseur et le spectateur.

Danse à 10 poseces questions intelligemment avec une équipe qui joue le jeu et entraîne le spectateur à le jouer aussi, le laissant au final plein d'émois non dénués d'introspection. Ni de plaisir. Tout déstabilisé ou dubitatif que l'on soit, on passe surtout un bon moment, marquant sinon touchant.

Les images s'imprègnent: deux filles dans une relation ambivalente et lascive, un homme qui s'en prend frénétiquement, désespérément, à un des poteaux.

Une blonde, déesse ou jument, déploie une énergie animale puissante jusqu'aux larmes; deux chevaliers lubriques et hilarants renchérissent d'impudeur et de second degré pour leur princesse; une Vénus à la fourrure glisse très lentement, poétiquement, le long du poteau sur un air de country; un camionneur graveleux et glauque hurle «I'll fuck your daughter, your mother, myself so hard...»; une fille un peu androgyne, haut perchée sur des talons aiguilles, joue de lanières de cuir et pousse une voix frêle et mélancolique. Au final, on reconnaît clairement la signature singulière de chaque chorégraphe.

Tout comme les serveuses du cru, les danseurs déambulent dans la salle. Pour 10$, ils nous entraînent dans un isoloir où l'expérience est saisissante. On perd ses repères, on ne sait que faire de ses mains, de ses yeux. Faut-il se laisser agresser ou séduire? Comment sortir de là?

Quand le spectacle est fini, on peut rester dans la salle pour assister à l'autre spectacle, le «vrai», celui des habituées qui succèdent sur scène aux danseurs contemporains. La ligne qui distingue les uns des autres, danseurs comme clients, est abolie. Prière de laisser les jugements convenus au vestiaire.

Cette confusion volontaire des genres, assumée par tous, y compris par l'Agora de la danse et par le Kingdom, improbablement unis dans cette proposition inattendue, constitue sans doute l'aspect le plus fort de cette aventure.

Danse à 10, les 25, 26 et 27 septembre, 19 h, au Kingdom Gentleman's Club, 1417, boulevard Saint-Laurent. Info: agoradanse.com