Après Québec, Ottawa, Rimouski, Le Bic et Lennoxville, le chorégraphe Emmanuel Jouthe présente sa nouvelle création Cinq humeurs, chez lui, à Montréal. Une pièce de maturité où six interprètes professionnels et quatre nouveaux diplômés de LADMMI sont en résonance avec Les quatre saisons de Vivaldi.

C'est la première fois qu'il ne part pas d'une idée, d'un thème longuement réfléchi, ni même d'une recherche du mouvement dans l'espace. On le dit intellectuel, mais sa danse organique révèle son intelligence émotive au fort impact charnel: «Je suis un émotif, dit-il, sensible notamment à la musique baroque. Chez moi, après un souper, j'aime écouter Vivaldi. J'ai eu envie de créer une pièce où la danse vient de la musique, l'accompagne.»

Pari inhabituel en danse contemporaine qui rend cette pièce d'autant plus intrigante. Car, inévitablement, même si ce n'était pas son ambition première, son choix musical le place de fait parmi les nombreux chorégraphes qui, depuis plus d'un siècle, ont voulu livrer leur vision chorégraphique des concertos pour violon du célèbre compositeur vénitien du XVIIe siècle. Les hasards du calendrier font d'ailleurs qu'on peut voir cette semaine à Montréal la vision de Mauro Bigonzetti pour les Grands Ballets Canadiens en même temps que celle d'Emmanuel Jouthe.

Le titre de la pièce, Cinq humeurs, dit cependant d'emblée sa spécificité. Aux quatre humeurs ou états de corps que représentent les quatre saisons, Emmanuel Jouthe a souhaité en ajouter une cinquième, unique à la ville dans laquelle est présentée la pièce: «La cinquième humeur est en quelque sorte le pouls de la ville. Dans chacune des villes, on a présenté une première partie avec des personnes locales, pas danseurs, et aussi des danseurs étudiants, avant la pièce avec mes danseurs professionnels. À Montréal, ce sera différent. J'ai invité quatre danseurs fraîchement diplômés de LADMMI sur scène avec mes six interprètes professionnels, mais le tout est intégré. C'est ainsi juste pour Montréal, parce que c'est Montréal.»

De plus, Laurent Maslé et lui ont des sonorités numériques qui donnent une autre sonorité, plus urbaine et actuelle, aux notes vivaldiennes du Quatro Stagioni originel. La musique reste intacte, ce sont plutôt des ajouts de sons.

La danse traduit donc des états liés à la façon dont on vit psychologiquement, émotivement ou physiologiquement chacune des quatre saisons et aussi le passage de l'une à l'autre. Une danse intense, exigeante, fortement charnelle, conformément à la signature Jouthe, mais moins nerveuse: «Je voulais une danse hyper minimaliste, difficile parce que lente, peu de danse pour laisser éclater la musique à travers. J'ai un peu changé, ça danse un peu plus, mais la lenteur reste. Le tout dans un environnement nu et des interprètes en sobres costumes immaculés.

Pièce raffinée, Cinq humeurs est un clin d'oeil à Vivaldi, mais aussi une sorte d'hommage aux contrastes saisonniers si marqués chez nous - «70 degrés d'écart entre hiver et été», rappelle Emmanuel Jouthe - et à leur effets sur nos humeurs intérieures. Elle traduit aussi une envie de beauté, ce qui n'est pas le moindre des parti-pris dans un monde autrement violent et bouleversé.

Cinq humeurs d'Emmanuel Jouthe, du 16 au 19 mars, à l'Agora de la danse.