Alicia Alonso a 90 ans et elle est toujours à la tête du Ballet national de Cuba. Madame Alonso accompagne même la compagnie en tournée, alors que cette institution culturelle phare de Cuba s'arrête Montréal, du 17 au 19 février, à l'invitation des Grands Ballets canadiens de Montréal, pour y danser Giselle.

Lorsque La Presse demande à Alicia Alonso, jointe au téléphone à La Havane, si elle a déjà assuré sa succession à la tête du Ballet national de Cuba, la prima ballerina assoluta rétorque: «Mais pourquoi parlez-vous comme si je n'y étais déjà plus?! Il ne faut surtout pas vous en faire pour moi!»C'est qu'elle a de la poigne Alicia Alonso! Et une détermination sans borne - certains diraient de l'acharnement. Presque aveugle depuis l'âge de 19 ans, en raison d'un problème de détachement de la rétine, la Cubaine a tôt fait de se forger une place parmi les grandes étoiles de la danse classique, aux côtés des Margot Fonteyn, Alicia Markova ou Yvette Chauviré.

En 1948, soucieuse de développer l'art de la danse classique dans son pays d'origine, à la suite d'un séjour en Russie, madame Alonso fonde, en collaboration avec son mari Fernando Alonso (qu'elle a épousé à l'âge de 15 ans!), le Ballet Alicia Alonso. Devenue le Ballet National de Cuba, la compagnie prend son essor à partir de 1959, alors que Fidel Castro lui apporte enfin son soutien officiel. Remarquez que la dame n'a pas attendu l'appui de Castro pour aussi doter son pays d'une école de danse, à la hauteur de ses exigences: en 1950, elle fonde l'Académie nationale du ballet. «Nos élèves reçoivent gratuitement une éducation académique complète, en plus de leurs cours de danse. Nous accueillons même des étudiants de l'étranger, notamment de France», précise Alicia Alonso.

Alicia Alonso a fait de Cuba un des hauts lieux de la danse classique. Elle a même su forger une esthétique proprement cubaine, caractérisée par une extrême précision et une grande expressivité, en puisant aux techniques française, russe et anglaise. L'Académie et la compagnie, qu'elle dirige tout en en poursuivant une carrière internationale en tant que danseuse au sein de l'American Ballet Theatre de New York, deviennent rapidement des pépinières d'où sont issus certains des meilleurs danseurs au monde. On pense à Carlos Acosta, principal artiste invité au Royal Ballet, ou à José Manuel Carreno, danseur étoile de l'American Ballet Theatre (ABT). Elle inscrit également au répertoire de la compagnie des créations contemporaines de chorégraphes cubains, tout autant que les grands classiques.

La directrice générale du Ballet national de Cuba est aussi chorégraphe. La version de Giselle que sa compagnie présente à Montréal est la sienne, d'après la chorégraphie originale de Jean Coralli et Jules Perrot (créée à Paris, en 1841). Ce ballet, considéré comme le summum du ballet romantique, madame Alonso le connaît intimement: elle est reconnue comme une des grandes interprètes du rôle-titre, Giselle, un rôle qu'elle danse pour la première fois en 1943 - elle est déjà presque aveugle. Pendant sa longue convalescence oculaire, et alors qu'elle attend impatiemment le moment où la direction de l'ABT lui accordera enfin le rôle, elle dit avoir répété, immobile, le rôle de Giselle... en le visualisant.

Madame Alonso n'a aucune intention de prendre sa retraite! «La compagnie m'est indispensable! C'est elle qui me fait sentir que je suis en vie», avoue celle qui a encore bien des projets pour son bébé, notamment celui de fonder une seconde compagnie qui se produirait uniquement à Cuba, tant le Ballet national de Cuba est sollicité à l'étranger, assurant ainsi une présence nationale plus constante.

Giselle du Ballet National de Cuba, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, du 17 au 19 février.