«Ceci est mon corps livré pour vous.» Cette phrase équivoque n'aurait pas déplu à l'écrivaine Nelly Arcan. La chorégraphe Manon Oligny l'a mise en sous-titre de sa nouvelle pièce Icônes, à vendre, qu'elles avaient conçue ensemble. Une cérémonie oblative et libératrice pour faire le deuil de l'amie en rendant hommage à l'artiste.

Manon Oligny le dit d'emblée: «En ce moment, en travaillant intensément sur la pièce, je pense tout le temps à elle. C'est douloureux et en même temps, ça me donne de l'énergie. Nelly et moi partagions une vision commune de l'utilisation socioéconomique des femmes. Nous avions des affinités artistiques et avions déjà fait une pièce ensemble (ndlr: L'écurie, 2008). Mais c'était d'abord mon amie.»

L'annonce du suicide de Nelly Arcan le 24 septembre 2009 a causé tout un choc, et forcément plus encore pour ses proches. Manon Oligny a appris la nouvelle à l'étranger: «J'étais en Belgique pour un projet. Ça m'a clouée. Je n'ai pas été capable de rentrer. Je ne m'y attendais pas du tout. Je lui en ai beaucoup voulu. Et puis j'ai décidé de faire la pièce quand même, en hommage.»

Avant que ce drame n'arrive, elles avaient élaboré un projet de chorégraphie qui ferait suite à L'écurie, pièce dans laquelle trois danseuses étaient enfermées dans des box à chevaux, livrées au regard des spectateurs par un oeilleton. Pendant la performance, Nelly Arcan écrivait en direct sur un écran lumineux. Pièce dérangeante où les deux artistes mettaient en scène leurs questionnements et leur dénonciation de la banalisation de l'exploitation marchande du corps féminin, les tabous et les excès de l'érotisation systématique que Nelly Arcan appelait cyniquement «la burka de chair».

Avec Icônes, à vendre, elles souhaitaient poursuivre la réflexion en allant plus loin, avec le désir de symboliquement «sortir du box»: «Nous voulions à la fois poursuivre ce qui avait été initié dans L'écurie et en finir avec ce propos. Cette pièce est à la fois une continuité et une rupture, c'est pourquoi nous voulions garder les trois mêmes interprètes (Miriah Brennan, Karina Iraola et Anne Le Beau). Le but essentiel de cette pièce est de sortir ces femmes du carcan, de les libérer.»

Tout le processus de création de cette pièce a été semé d'embûches, la mort de sa partenaire artistique n'étant pas la seule. Là où elle aurait pu laisser tomber, Manon Oligny s'est obstinée, avec l'appui de son équipe, notamment Yanick McDonald et Simon Laroche. «Un vrai chemin de croix, résume-t-elle, ça va bien avec le thème de la pièce!»

Inspiré des enchères en ligne, Icônes, à vendre fait du spectateur un consommateur tout comme les danseuses/icônes sont des objets dansants à vendre. Il suffit de choisir dans un catalogue remis à l'entrée, tel ou tel solo, avec musique ou sans, avec plus ou moins de vêtement. Achetez maintenant, leurs peaux, leurs cheveux, leurs regards! Les icônes sont livrées là comme des martyres dans un rituel sacrificiel. C'est une offrande, une oblation, avec tout ce que cela a d'incantatoire. C'est une invocation du plus grand que soi. Mais c'est aussi une entreprise de désacralisation de l'objet scénique. Avec une gestuelle intense et sensuelle, un rien guerrière, Manon Oligny dénonce par l'excès ce qu'elle expose. Sur ce point en effet, l'esprit de Nelly Arcan est bien présent.

Et au bout de cette cérémonie expiatoire et transcendante, il y a la libération. Celle de Manon Oligny peut-être.

Icônes, à vendre de Manon Oligny. à la SAT, du 19 au 29 janvier, à 20h.