Broadway est l'une des scènes les plus prestigieuses au monde, mais Donte Steele et sa troupe ont certainement choisi la plus difficile: ils dansent dans le métro.

Lorsqu'ils surgissent dans la rame avec leur sono portable, l'effet est immédiat: «Quelle heure est-il?» lance l'un d'eux. «L'heure du spectacle», répondent en choeur les autres.

Comme d'habitude, les passagers ennuyés par la soudaine intrusion regardent ailleurs, mais pas pour longtemps.

La sono martèle un air des Black Eyed Peas et le plus jeune «break dancer», Marcus Walden, 15 ans, connu sous le nom de «Mr Wiggles,» s'élance entre les sièges, un bond en avant, un bond en arrière.

Les gens commencent à regarder.

Puis vient le tour de «LJ» Tamiek Steele, 21 ans. Debout sur ses mains, calmement, comme s'il s'agissait de l'exercice le plus facile au monde, il place son corps à l'horizontale, parallèle au sol, comme si d'invisibles ficelles le retenaient.

«Si votre homme est incapable de faire pareil, quittez le», lance Walden, provoquant l'hilarité du public maintenant ouvertement sidéré.

Donte Steele, 27 ans, un jeune trapu aux oreilles ornées de clips rouges, se surnomme «thebestuknow» («le meilleur»).

Sept fois de suite, il bondit, avant arrière, sur ses mains ou sur ses pieds, flotte, se retourne et revient au point de départ, on peine à suivre les mouvements de ses membres.

Miraculeusement, il évite de heurter les genoux des passagers de cette rame bondée, ou le plafond du wagon que sa tête frôle.

Les applaudissements éclatent. Mais le métro n'est pas encore arrivé à la station. S'accrochant l'un à l'autre par les poignets et les chevilles, Tamiek et Donte forment une roue, qui commence à rouler le long de la rame, entre les sièges, se dirige vers le poteau métallique en plein centre du wagon... et l'évite avec brio.

Les deux jeunes gens se relèvent, saluent la foule, et font circuler une casquette parmi les voyageurs: «plus vous nous donnez d'argent, plus nous aurons d'argent», lance Donte Steele.

Le métro s'arrête, le groupe s'élance vers un autre wagon.

«Je n'ai jamais rien vu de pareil», dit émerveillée Christi Hulls, 27 ans.

Chaque danse a un nom, mais tous les mouvements dérivent du «break dance», gymnastique dansée née dans le Bronx dans les années 70 aux rythmes du hip hop.

«J'ai appris quand j'étais petit, en regardant les autres et en m'entraînant des heures dans des garages ou en sautant sur des lits», raconte Donte Steele. «Je le faisais déjà quand j'avais sept ans, quand les rames de métro étaient couvertes de graffitis», se souvient-il.

Lui et «LJ» Tamiek sont cousins. «Mr Wiggles,» demi-frère de «LJ,» a un frère qui danse aussi dans le métro. Et un oncle avec son propre programme.

«Tout le monde dans ma famille le fait, et je suis même étonné qu'on puisse encore gagner de l'argent», dit LJ Tamiek.

Chacun gagne entre 100 et 200 dollars par jour, en faisant trois fois l'aller-retour sur la ligne express entre Harlem et le sud de Manhattan.

«Je me suis quelquefois cogné aux portières quand le métro va trop vite, mais je n'ai jamais heurté de passager», assure «LJ» Tamiek.

Certains voyageurs restent totalement insensibles, comme cet homme en costume rayé, qui brandit son quotidien au dessus de sa tête pour tenter de s'épargner le spectacle, mais en vain: quand «thebestuknow» s'envole, il est difficile de ne pas le voir passer.