Le FTA présente cette année deux compagnies de danse africaines. Si leur esthétique diffère totalement, la compagnie Salia nï Seydou et les Studios Kabako sont dirigées par des défricheurs, des têtes fortes qui auraient pu facilement surfer sur le succès qu'ils connaissent en Europe et ne plus remettre les pieds dans leurs pays d'origine. Survol.

«Je suis pessimiste par rapport à l'avenir du Congo», lance le chorégraphe, danseur et comédien Faustin Linyekula. Pourtant, Linyekula, qui présente More More More... Future au FTA, n'a pas hésité, en 2001, à retourner vivre au Zaïre, aujourd'hui la République démocratique du Congo. Ce pays qui l'a vu grandir sous la dictature de Joseph Désiré Mobutu ne lui a donné «que des ruines en héritage.»

 

Pourtant, sur ces ruines, Linyekula construit. D'abord, les Studios Kabako installés dans la ville de Kisangani depuis 2006, un espace de création, de recherche et de formation multidisciplinaire. Et pour transformer, contre toute attente, la ville en pôle culturel du Congo, il travaille à la construction, dans trois quartiers distincts de Kisangani, d'une salle de spectacles, d'un lieu de résidence et d'un centre pour la pratique amateure, qu'il souhaite aussi lier à des lieux de créations européens.

Pourquoi Linyekula s'entête-t-il à bâtir cela, dans un pays où l'État fait cruellement défaut, même pour les besoins les plus élémentaires? «Pour ne pas être seul. Plus des artistes puissants se développeront autour de moi, plus mes propres créations s'enrichiront», explique celui qui présentera Pour en finir avec Bérénice cet été au Festival d'Avignon, après avoir monté Bérénice de Racine, au Studio Théâtre de la Comédie-Française en 2009.

Spectacle de danse, concert et cri de ralliement inspiré de l'énergie punk des années 70, More More More... Future récolte déjà les bénéfices de cet esprit de liberté et d'initiative que tente d'insuffler Linyekula à ses concitoyens. La rock star Flamme Kapaya, directeur musical de More More More... Future, est le dieu incontesté d'une forme de dance music africaine, le ndombolo.

«L'énergie de notre musique populaire est incroyable, mais jusqu'ici elle ne sert qu'à faire croire que tout va bien au Congo. C'est un espace d'amnésie totale, affirme Linyekula. Or, depuis que nous travaillons ensemble, Flamme a compris que sa musique pouvait servir à autre chose qu'à faire la fête. De star bling bling, il s'apprête à lancer un album qui dresse un portrait pessimiste du Congo.»

Pour les générations futures

Après avoir travaillé pendant plusieurs années auprès de la chorégraphe française Mathilde Monnier, Salia Sanou et Seydou Boro, originaires d'Ouagadougou, au Burkina Faso, y fondent la compagnie Salia nï Seydou, en 1997. S'ils sont devenus depuis des chefs de file de ce que certains appellent la danse contemporaine africaine - une dénomination insidieuse pour certains, comme Sanou, qui y voient encore une forme de ghettoïsation et un risque de formatage au regard occidental - le tandem a tout de même décidé de partager la compagnie entre la France et le Burkina. «Pour des raisons de proximité, l'équipe de production et de diffusion se trouve à Paris «, souligne Salia Sanou, joint à Montpellier où il passe une partie de l'année.

Cela dit, Sanou insiste: toute la création se fait à Ouagadougou, au centre chorégraphique La Termitière, un des premiers d'Afrique, qu'il a mis sur pied avec son complice Saydou Boro - c'est d'ailleurs la poussée de violence qui a eu lieu le jour de son inauguration qui a inspiré Poussières de sang, présentée au FTA. «Il fut un temps où la plus jeune génération de chorégraphes nous imitait, poursuit celui qui se destinait d'abord à une carrière de policier. Mais aujourd'hui, on dépasse ce stade. Les infrastructures, comme La Termitière et le festival Dialogues de corps que nous avons fondé à Ouagadougou, en 2001, les incitent à faire un réel travail de recherche personnel, à bousculer et à déranger.»

More More More... Future des Studios Kabako, du 1er au 3 juin, et Poussières de sang de la compagnie Salia nï Seydou, du 5 au 7 juin, tous deux à l'Usine C.