Au fil de sa très longue carrière, Merce Cunningham a définitivement fait entrer la danse dans la modernité. Le 16 avril 2009, jour de son 90e anniversaire, il créait sa dernière pièce, Nearly 90 à New York. Après sa disparition en juillet, sa compagnie a entrepris une tournée de deux ans pour présenter cette oeuvre ultime. Elle sera à Montréal en ouverture du Festival TransAmérique, pour la toute dernière fois.

Au téléphone, Robert Swinston, devenu directeur artistique de la Merce Cunningham Dance Company après y avoir dansé 17 ans, se souvient que la compagnie s'est produite à Montréal en septembre 2001, une semaine après la chute des tours, dans le cadre du FIND. Nous avions alors parlé avec Merce Cunningham qui, devant les vitres de son studio, décrivait la dévastation. Voici que la MCDC revient dans des circonstances autrement exceptionnelles. Merce Cunningham n'est plus. Il est mort le 27 juillet 2009, deux semaines après Pina Bausch et sa disparition laisse dans le monde de la danse contemporaine un sentiment de dévastation.

Cunningham l'impertinent, meilleur soliste de Martha Graham, s'en détache bien vite pour inventer une danse résolument abstraite, exclusivement dédiée au mouvement. Cunningham, celui qui sautait le plus haut, a le premier insufflé à l'exécution une vitesse folle qu'il appelait wind, le vent. Gestuelle fluide, rapide, géométriquement architecturée, mais qui faisait la part belle au hasard. Résultat qui médusait tout le monde, même les spécialistes.

Avant la consécration des années 70, la MCDC a connu 20 ans de tournées désargentées à travers les États-Unis à bord d'un vieux Westfalia conduit par son compagnon, le musicien John Cage, pour se produire devant quelques spectateurs circonspects. Jamais cela n'a entaché son humour, ni sa détermination à donner à la danse une totale indépendance. Pas de costumes, pas de narration, la musique découplée du mouvement. La danse, enfin devenue art moderne à part entière. Aujourd'hui, cette conception de la danse nous est acquise. Mais avant Cunningham, elle était inimaginable. Au Québec, la danse contemporaine a partiellement intégré son influence, notamment à travers Jeanne Renaud, mais aussi José Navas, formé par un disciple de Cunningham, José Limón. À l'automne 2009, Navas a d'ailleurs créé sa pièce S comme un hommage.

Toute sa vie, Cunningham aura poursuivi son insatiable recherche sur le mouvement, notamment en créant Life Forms, un logiciel de simulation de mouvements. Il dirigeait aussi, depuis 1953, sa compagnie, et, contrairement à Pina Bausch, avait organisé ses volontés quant à l'avenir de celle-ci. Après une tournée internationale de septembre 2009 à septembre 2011 avec Nearly 902, version scénographiquement allégée de Nearly 90, la MCDC sera dissoute. Définitivement.

Robert Swinston raconte: «Sa décision respecte la nature évanescente de la danse, en plus d'être pragmatique. Sans nouvelle oeuvre, nous ne pourrions plus bénéficier des financements privés dont nous dépendons. Alors, après la tournée, nous nous consacrerons à transmettre ses oeuvres.» Un répertoire Cunningham? «Ça le deviendra, d'une génération de danseurs à la suivante.» D'un corps à un autre, c'est ainsi que se bâtit l'histoire de la danse. Merce Cunningham, lui, est déjà une légende.

«Il nous manque beaucoup, conclut Swinston, mais son énergie nous accompagne tous les jours. Cette dernière oeuvre est très achevée, structurée en quatre parties qui chacune se finit par un wind ultra rapide. Elle est très représentative. En fait, c'est l'accomplissement de 90 ans de vie dont 78 consacrés à la danse.»

Nearly 902, par la Merce Cunningham Dance Company, 27 et 28 mai à 20h au Théâtre Maisonneuve.