Drôle de face-à-face auquel nous convie Sidi Larbi Cherkaoui avec Sutra. Le chorégraphe et danseur belgo-marocain partage la scène avec 17 moines Shaolin, dont un enfant de 12 ans. Un face-à-face qui met en scène non pas la dualité Orient-Occident, mais l'individu, seul, face à la communauté.

«Je suis face à eux, solitaire. Mon éducation européenne, c'est de trouver ma place. Les moines, eux, ont des personnalités très fortes, mais avec des repères très clairs. Ils sont dans une culture plus dirigiste, mais dans laquelle il y a aussi un rapport très familial», explique Sidi Larbi Cherkaoui.

 

De Barcelone, où il présente un duo avec la danseuse de flamenco Maria Pages, Sidi Larbi Cherkaoui nous raconte la genèse de Sutra, une création événement, saluée par la critique européenne et fortement remarquée lors du dernier festival d'Avignon.

«Ça a commencé en 2007: c'est un ami, le producteur japonais Hisashi Itoh, qui m'a parlé des moines Shaolin. Il m'a convaincu de les rencontrer. J'étais curieux, ouvert et ça a été une rencontre fabuleuse avec maître Yen Da, qui lui-même a clairement une relation avec l'art. Il m'a proposé de rencontrer de jeunes moines», se souvient Sidi Larbi Cherkaoui.

Par le mouvement (danse et kung-fu), Sidi Larbi Cherkaoui a pu communiquer avec les moines Shaolin et dépasser la barrière de la langue. «Soudain, on sentait qu'il y avait un dialogue possible, car le kung-fu est une tradition ancestrale, mais ouverte, constamment en train de se renouveler, qui essaie d'aller de l'avant.»

Comme pour ses collaborations avec des danseurs classiques, Sidi Larbi Cherkaoui est d'abord parti du kung-fu pour créer la chorégraphie de Sutra. «J'utilise leur vocabulaire, et après je chorégraphie de par leur vocabulaire. Ce sont des moines qui ne veulent pas devenir des danseurs.»

Pour la scène, l'artiste plasticien Anthony Gormley a imaginé 21 boîtes en bois. «C'est quelque chose hors d'eux, qui les freinait, pesait sur leur corps, mais avec lequel on peut générer des discours différents, construire des cimetières, des murs, des ponts. C'est un décor transformable, tout le temps, et chacun a une boîte pour apparaître ou disparaître», décrit le chorégraphe.

Travailler et partir en tournée avec des moines bouddhistes a nécessité certaines tractations, notamment pour leur faire porter un costume-cravate. «Je n'avais pas le droit: j'ai dû avoir toute une négociation, et parler d'incarnation. Expliquer que, tout comme les mouvements sont inspirés par les animaux, je voulais qu'ils incarnent des êtres humains, pas des moines», dit-il.

Dans Sutra, comme dans sa trilogie Foi, Myth et Babel, la spiritualité occupe une grande place. «C'est ma préoccupation principale depuis l'enfance. Moi-même, je ne suis pas croyant, mais j'ai grandi musulman et catholique, avec un Dieu qui n'a pas de pitié pour moi car je suis homosexuel. J'ai constamment cherché à laver un péché qui est ma nature et j'ai cherché des relations avec ceux qui repoussent et ceux qui acceptent.

«Je n'aime pas beaucoup le mot spirituel, car on pense souvent à quelque chose d'aérien. Pour moi, cela a beaucoup plus à voir avec le mouvement que la pensée. J'ai plutôt besoin d'agir. Quand j'étais enfant, mon corps m'a beaucoup réclamé de l'expérience. C'est dans l'action que je comprends.»

L'action est sans doute le maître mot de ce danseur chorégraphe, qui s'est imposé comme un incontournable sur la scène européenne. Sidi Larbi Cherkaoui vient de fonder sa propre compagnie, Eastman, en résidence en Belgique. Quelque chose nous dit que l'on devrait recroiser le chorégraphe à Montréal.

Sutra, de Sidi Larbi Cherkaoui, à la salle Maisonneuve de la Place des Arts, du 4 au 8 novembre.