L'exigeant public du Théâtre de la ville de Paris a réservé un accueil très chaleureux mardi soir à Orphée et Eurydice, la dernière et saisissante création de la chorégraphe Marie Chouinard.

C'est la cinquième fois depuis 2002 que la Québécoise se produit dans le temple parisien de la danse contemporaine, dont elle est devenue au fil des ans non seulement une habituée mais aussi une tête d'affiche.

Mardi soir, Marie Chouinard a réussi à étonner, voire à impressionner, les amateurs parisiens avec une relecture audacieuse du mythe grec d'Orphée descendant aux enfers pour y chercher Eurydice. Dans ce spectacle, brillamment mis en musique par Louis Dufort et créé à Rome l'année dernière, la danse est animale et crue, païenne et sexuelle...

Les dix danseurs, hommes et femmes presque nus, poussent en permanence des cris aigus ou gutturaux, qui évoquent à la fois des temps primitifs ou la maladie mentale.

Marie Chouinard pousse plus loin que jamais son travail sur le corps, le souffle et la voix. «Le son, c'est simplement le souffle qui devient plus présent», dit-elle.

Avec Chorale, Body Remix/Les Variations Goldberg ou Le Sacre du printemps, la Québécoise s'est fait au fil des ans une solide réputation dans le milieu parisien de la danse contemporaine.

Il n'était pas acquis pour autant que sa vision sans tabous d'Orphée et Eurydice, vu comme une métaphore du travail de création, plairait. L'oeuvre est passablement radicale et même si le public du Théâtre de la ville n'est plus aussi intransigeant et véhément qu'avant, on ne savait pas trop - même dans l'entourage de la chorégraphe - comment il allait réagir à ces étranges bacchanales. Cette semaine, Le Figaro, tout en recommandant le spectacle à ses lecteurs, avait d'ailleurs suggéré aux «âmes sensibles» de s'abstenir, en soulignant que certaines «surprises iconoclastes flirtaient avec la vulgarité».

Or il se trouve que le choc des images, dont parlait aussi le quotidien, n'a pas rebuté les spectateurs du Théâtre de la ville, parmi lesquels on apercevait la grande chorégraphe américaine Carolyn Carlson. Il n'y pas eu d'ovation (ce n'est pas le genre de la maison), mais des applaudissements nourris et enthousiastes.

Situé en plein coeur de Paris, au bord de la Seine, le Théâtre de la ville est un peu à la danse contemporaine ce que la Scala de Milan est à l'opéra. L'accueil qu'on y reçoit n'est donc pas anodin. Ni sans conséquences pour une carrière. La troupe de Marie Chouinard y est à l'affiche pour cinq soirs, un traitement réservé à des vedettes comme Jan Fabre ou Josef Nadj.

«Il n'y a que des très grands noms comme Pina Bausch ou William Forsythe qui peuvent tenir plus longtemps», expliquait un spécialiste. C'est dire que Marie Chouinard fait partie du peloton de tête des chorégraphes de calibre international.