La Patagonie. Terre du bout du monde, à cheval entre l'Argentine et le Chili. Là où s'échouaient jadis les explorateurs, les fous et les repris de justice. La chorégraphe Lisi Estarás s'inspire de ce lieu mythique pour créer Patchagonia, présenté par les Ballets C. de la B. à la Cinquième Salle de la PdA.

Lisi Estarás a beau être née en Argentine, elle n'a jamais posé le pied en Patagonie. «Pour les Argentins, l'endroit a très mauvaise réputation. Les racontars sont très noirs, pleins d'histoires de gens qui s'y tuent», explique l'ex-danseuse de la Batsheva Dance Company, dans un anglais mâtiné d'accents espagnol et israélien. Pourtant, c'est bien le souvenir de ces légendes et rumeurs qui alimentent la première production d'envergure qu'Estarás conçoit pour les Ballets C. de la B., dont elle est membre depuis 1997.

 

Nourrie autant par les récits de voyage de Darwin en Patagonie que par la vie des étonnants personnages qui s'y sont exilés, dont The Sundance Kid et Antoine de Tounens («un Français qui a réussi à se faire proclamer roi de Patagonie par les Indiens du coin!»), Estarás s'invente une terre interdite bien à elle. C'est donc en Patchagonia - contraction de «pacha», en référence à la lassitude, et «agonie» - qu'elle largue trois hommes et une femme. Tous très différents, tous en quête de sens.

Patchagonia, créé en 2007, porte la marque des Ballets C. de la B.: ça parle, ça danse, ça chante. C'est physique, débraillé, à la fois violent et festif, et, dans le cas présent, un brin manouche. En effet, les interprètes sont accompagnés, dans leur exil forcé, par trois musiciens, dirigés par le violoniste gitan Tcha Limberger. «Tcha est arrivé à me faire un étrange mélange de ses propres racines et de rythmes sud-américains», note Estarás, en ajoutant que Limberger est aveugle. «Il s'est basé sur les sons produits par les danseurs et sur la description que je lui faisais de certaines scènes!»

Une vie d'exil

Tout comme ses personnages, Lisi Estarás connaît l'exil. Alors qu'elle n'est encore qu'une enfant, sa famille, menacée par le régime totalitaire, quitte Córdoba pour Buenos Aires. «Je m'y suis sentie une étrangère; je parlais avec un accent prononcé.» Puis, à 19 ans, alors étudiante en travail social, celle qui fait partie de la grande diaspora juive installée en Argentine quitte son pays pour rendre visite à sa famille en Israël. Mais la guerre du Golfe éclate.

«J'ai bien essayé de quitter le pays, mais je ne pouvais plus sortir», raconte la chorégraphe, qui obtiendra une bourse d'études à l'Académie de musique et de danse Rubin, à Jérusalem. Puis, la jeune femme, ballerine depuis l'âge de 14 ans, est admise au sein de la Batsheva Dance Company, à Tel Aviv. Elle y restera cinq ans avant de mettre le cap sur l'Europe, à la recherche de nouveaux défis.

Une amie la branche sur le travail d'Alain Platel, le fondateur des Ballets C. de la B. Elle fait maintenant partie de ce collectif, véritable pépinière de chorégraphes, depuis 11 ans. «J'admire le travail d'Alain, avoue Estarás, parce que c'est émotif. Je veux que mes pièces soient comme ça, que le public n'ait pas le temps de réfléchir, mais qu'il plonge dans un trip d'émotions.»

Estarás retournera-t-elle un jour vivre en Argentine? «Je sens que j'ai une dette envers ce pays, mais pour l'instant, non.» Elle présentera cependant Patchagonia à Córdoba, à la fin de l'année. «J'essaie d'y amener de petites pièces de temps en temps; le public a soif d'autre chose et il n'a pas accès à des productions internationales», explique Estarás, qui prépare une création inspirée par l'enfance.

Patchagonia des Ballets C. de la B., du 15 au 18 avril, à la Cinquième Salle de la Place des Arts.