Après avoir présenté sa Giselle rouge il y a deux ans, le chorégraphe russe Boris Eifman était de retour au théâtre Wilfrid-Pelletier du 19 au 21 février, à l'invitation des Grands Ballets Canadiens de Montréal.

Avec sa grande compagnie d'une soixantaine d'interprètes, il proposait cette fois une relecture de l'envers de la vie du célèbre compositeur de ballet Piotr Ilitch Tchaïkovski. Comme il l'a fait avec le tsar Paul 1er ou Anna Karenina, mais aussi Molière, Don Juan et Balanchine, et bientôt avec Pouchkine, Eifman offre une vision iconoclaste de Tchaïkovski, icône du patrimoine musical mondial.

 

Il choisit sans doute ses interprètes pour leur perfection esthétique et technique - particulièrement remarquable dans les duos et les nombreux grands déploiements de groupe - autant que pour leur puissance évocatrice exaltée et expressive. Perfection esthétique et technique, expressivité dramatique auxquelles s'ajoutent la dimension riche et baroque des décors et la sophistication des jeux de lumière: telle est la signature Eifman, qu'on a d'emblée reconnue cette fois encore.

Mais on aime ou pas: l'univers d'Eifman ne fait ni dans la demi-mesure ni dans la demi-teinte, sauf pour ce qui est des lumières, parfois caricaturalement dramatiques, il faut le dire. On glisse dans cet univers d'intensité et tout le long, on s'en laisse raconter.

Au fond, tout est d'emblée à la mesure de la figure géniale mais tourmentée, fragile mais intense et intarissable de créativité, malgré la souffrance intime, du compositeur. Autour de lui, les êtres se montrent tout aussi passionnés et passionnants dans leurs destins tragiques. La dramaturgie est plus grande que nature et la danse demeure toujours précise, rigoureuse et enlevée.

Même si on regrette parfois qu'il y ait une telle foule sur scène et que la pièce semble quelque peu désuète, avec ce Tchaïkovski possédé par son double, Eifman parvient à suggérer et à révéler la part dérangeante et refoulée de cet artiste célèbre. L'autre pièce vue ici, la Giselle rouge, autour de la figure de la célèbre danseuse Olga Spessivtseva, était toutefois plus subtile.

Dans ce ballet, on revisite l'oeuvre musicale de Tchaïkovski (dont nous avons tous un air dans la tête, parfois même sans savoir que c'est de lui). Le ballet en deux actes s'appuie en effet sur cinq oeuvres du compositeur interprétées par des orchestres russes. L'on revisite également les personnages des ballets dont il a composé la musique et que, très souvent, Marius Petipa avait chorégraphiés, tels Casse-Noisette ou Le lac des cygnes, mais surtout l'on plonge dans l'autre vie de Tchaïkovski, la vie sombre, tragique et fatale, entre l'épouse délaissée, la mécène perverse, l'homosexualité culpabilisante mais lubrique, la houle intérieure. Nul répit dans ce ballet où la perfection règne. Ce Tchaïkovski révélé par Eifman, malgré quelques réserves, reste une oeuvre magnétique qui trouve des échos en chacun.