Berlin, ville-marmite. La chute du mur il y a bientôt 20 ans a libéré une énergie créative singulière, sur le plan architectural autant que dans bien des domaines artistiques. La danse n'est pas en reste. Forte d'une tradition classique centenaire, mais aussi contemporaine depuis plus d'un siècle, elle avait besoin de nouveaux outils de création, de production et de lieux pédagogiques.

En injectant 12,5 millions d'euros, la Kulturstiftung des Bundes, fondation culturelle fédérale qui s'apparente un peu au Conseil des arts du Canada, a lancé en 2005 le TanzPlan, plan quinquennal destiné à propulser la danse allemande aux plans national et international.

Dans ses bureaux situés au bord de la rivière Sprée, Madeline Ritter, directrice du TanzPlan, explique : «Le TanzPlan n'est pas qu'une manne de subventions fédérales. C'est un réseau calibré pour les besoins du milieu de la danse et destiné à encourager un fonctionnement commun à long terme. Jusqu'ici, les projets étaient centrés autour de quelques pôles, Essen, Munich et surtout Berlin, mais sans lien entre eux. Il nous manquait une vue d'ensemble pour la danse allemande. Le TanzPlan vise à relier pédagogues, artistes et instances politiques. En cinq ans, nous voulons instaurer un nouveau mode de fonctionnement qui créera de nouvelles perspectives concertées, développera la danse allemande, son rayonnement à l'extérieur ainsi que les échanges de résidences et de coproduction avec l'étranger.»

Une initiative qui suscite l'intérêt, au moment où le gouvernement fédéral canadien a plutôt restreint les possibilités de rayonnement à l'extérieur du pays. D'autant plus que beaucoup de chorégraphes et danseurs québécois - Benoît Lachambre, Louise Lecavalier, Manon Oligny et Dave St-Pierre, entre autres - ont parfois profité des lieux et des fonds allemands pour leur création.

Neuf villes en danse

Le TanzPlan se concentre sur neuf villes, situées dans autant de Länder : Brême, Dresde, Düsseldorf, Francfort, Essen, Hambourg, Munich, Potsdam et Berlin, ville-pilote du plan où les partenaires sont nombreux et où se tient la Biennale destinée à montrer des chorégraphies des écoles encouragées par le TanzPlan (la première a eu lieu en février-mars 2008) ainsi que le Congrès annuel.

Le TanzPlan comprend deux secteurs distincts : le TanzPlan Local, destiné à financer des projets originaux et d'envergure, et le TanzPlan Education, destiné à rénover et à créer des structures éducatives et pédagogiques, pour enseigner la danse mais aussi pour éduquer le jeune public à la danse.

Plusieurs acteurs essentiels de la danse contemporaine allemande sont devenus des relais du réseau TanzPlan et sont subventionnés comme tels. On en trouve un exemple à Dresde avec la célèbre Palucca Schule, créée en 1925 par Gret Palucca, disciple et amie de la fondatrice de l'Ausdrückstanz, Mary Wigman. La danse expressionniste allemande a induit le mouvement expressionniste allemand dans les autres domaines artistiques; il n'y a pas un chorégraphe allemand qui ne soit encore porteur de l'esprit Wigman, de Pina Bausch à Sasha Waltz, l'icône berlinoise que l'on verra à Montréal ce printemps.

Un Canadien, Jason Beechey, dirige la Palucca Schule depuis 2006. Il insiste sur l'éclectisme de l'école qui forme gratuitement, grâce aux fonds de l'État, une centaine de pensionnaires âgés de 10 à plus de 20 ans à l'expressionnisme comme au classique et au contemporain. Le réseau D.A.N.C.E (Dance Apprentice Network aCross Europe), qu'il a mis en place avec quatre autres écoles européennes, permet à leurs élèves respectifs de circuler entre les établissements et leur offre un enseignement très complet - danse mais aussi psychologie, philosophie, histoire, architecture, cinéma - typique de l'esprit expressionniste. Deux élèves venus de l'École du ballet contemporain se trouvent actuellement à Dresde, mais on imagine que ce réseau pourrait trouver un partenaire outre-Atlantique à Montréal.

À Dresde encore, la compagnie William Forsythe qui se partagera désormais - pour cause de problèmes de budget de fonctionnement - entre Francfort, son pôle depuis 1984, et Dresde, où vient de lui être offert un théâtre aux dimensions majestueuses. La Forsythe Compagnie a participé au TanzPlan par la conception d'un DVD destiné à l'éducation du jeune public.

À Potsdam, la Fabrik, haut lieu de résidence et de production en danse, n'aurait pu être rénovée sans l'apport du TanzPlan, indique sa directrice, Ulriche Meizwig. Cette institution située entre un ancien chantier naval et d'anciennes écuries prussiennes permet à des artistes de passer des semaines ou des mois dans un cocon propice à la recherche et à la création sans obligation de rendement.

On trouve un autre exemple à Essen, où le chorégraphe d'origine franco-algérienne Samir Akika a pu installer sa compagnie multilingue et internationale, monter un spectacle marquant alliant hip-hop, contemporain, théâtre, performance et cirque, puis le présenter en tournée. Autant d'exemples d'une danse allemande éclectique et dynamique soutenue par une politique qui lui est adaptée. À quand une vision canadienne cohérente et à long terme?

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Les frais de ce voyage ont été payés par l'Institut Goethe et le Consulat allemand à Montréal.