Un homme, une femme, projections de désirs, rencontres de projections, virevoltes, volte-face, attraction, répulsion, disparitions, retrouvailles, pleurs, absurdités, fusions, incompatibilités, cruauté, rejet, empathie, fusions encore et finalement, enfin, la tendresse et l'émotion en partage.

C'est cette histoire, L'Histoire, toujours la même, jamais la même, toujours unique et tout à fait universelle, singulière, mais atemporelle, que nous racontent Juliette Binoche et Akram Khan dans Inside I, tour à tour duo langoureux, duel charnel, quotidien répétitif, corps à corps vertigineux, mise en abyme et pas de deux languide sur un rythme toujours soutenu, avec une gestuelle toujours inattendue, sophistiquée, exigeante, plus pour elle que pour lui c'est sûr, mais peu importe, la danse contemporaine ce n'est pas un catalogue de postures, c'est de l'émotion véhiculée et partagée et là, à ce chapitre-là, c'est peu de dire que Juliette Binoche n'est certes pas en reste! Il faut être deux pour danser l'amour.

 

Car oser danser avec Khan ce n'est pas rien. Danseur tellement époustouflant en même temps que maître conteur, Londonien typique qui a métabolisé au fil des années sa tradition bengalie dans laquelle les fulgurances du corps sont toujours destinées à révéler en transparence les soubresauts de l'âme, d'une pièce à l'autre a parfait cette dimension d'entrelacs entre danse et récit, jadis dans ses solos, puis dans le choc sismique de sa première pièce pour groupe Ma, ou le récent duo bouleversant avec Sidi Larbi Cherkaoui sur le thème du deuil. Il allie la rythmique trépidante qui lui vient du khatak, la sophistication chorégraphique et le goût du récit philosophique, poussé aussi, depuis plusieurs années, par le dramaturge Guy Cools. Khan est un grand danseur mais aussi un comédien qui, dans les deux cas, implique son corps comme instrument de prédilection.

Pour relever ce défi-là, il fallait une femme entière, une conteuse, et aussi une danseuse parce que Juliette Binoche danse vraiment, bien, sans retenue ni chichis, avec une fluidité qui forcément s'appuie sur une vraie maîtrise. Elle ajoute évidemment sa sensibilité, son intensité, son authenticité, si forte et si fine à la fois. Binoche est une grande actrice, mais aussi une danseuse dont on se souvient soudain, à la voir bouger avec autant de magnétique assurance, qu'elle danse au fond depuis longtemps. En 20 ans de cinéma, elle n'a en effet jamais hésité à impliquer son corps comme véhicule d'émotion, avec cette disponibilité physique qui est aussi une générosité et qui fait un peu sa marque de fabrique. Soudain on retrouve cela sur scène, dans une proximité qui fait que sa présence sur scène comme actrice et comme danseuse apparaît comme une évidence. Dans une lumière texturisée chatoyante, avec les grands pans de couleur rectilignes d'Anish Kapoor en toile de fond, sur une musique omniprésente et souvent bouleversante, c'est le spectateur qui, même figé dans son fauteuil, se trouve saisi d'émotion partagée, ému, mis en mouvement, ébranlé, comme au début d'une histoire d'amour. C'est magique, vraiment.

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In-I, de Juliette Binoche et Akram Khan, jusqu'au 17 janvier, 20 h, à la salle Pierre-Mercure.