Quatre filles qui ont du «guts» c'est bien le moins qu'on puisse dire des quatre interprètes de la compagnie Mandala Situ, Marie-Gabrielle Ménard et Mélanie Haché, Émilie Gratton-Beaulieu et Geneviève Bolla. Elles l'avaient prouvé dans L'oeil du pigeon en 2007, et le font à nouveau dans un tout autre registre dans la nouvelle pièce signée Dave St-Pierre, Warning.

La pièce offre une dénonciation en règle -c'est-à-dire cynique, désenchantée et grinçante à satiété-, de l'exploitation du corps féminin, des illusions de rêve domestique et marital qui font tourner l'économie en général, celle de la rénovation en particulier, de la dualité mère-putain dont on ne se sort à peu près jamais sans dommages.

 

Warning est en fait un passage à tabac de tous les clichés du féminin, sur fond de références à Alice aux pays des merveilles, mi-Mère courage mi-escorte d'un chaud lapin en peluche. On pouvait s'attendre à ce que la rencontre entre les génies audacieux de St-Pierre et de Mandala Situ confronte et mette mal à l'aise. Warning: on a été prévenus et on trouve ce qu'on attend. Sans surprise.

Le problème est qu'au milieu de tant de hardiesse, on n'évite justement pas les visions attendues, les clichés éculés, les postures prévisibles. Le trash pour le trash, la provoc pour la provoc, finissent par s'annihiler. Les scènes se succèdent comme des images lisses sans lien, sans faire sens.

Vaguement mécontent de se trouver piégé dans une position de voyeur, le spectateur n'en finit pas d'admirer les interprètes, leur témérité de s'exposer à ce point, sans cesser d'être mal à l'aise pour elles. Une position frappe: cuisses écartées, le corps culbuté en arrière, l'intimité exposée, c'est une scène que l'on a vue dans La pudeur des icebergs de Daniel Léveillé dans laquelle dansait Dave St-Pierre.

Mais «tout oser», est-ce une victoire pour les filles? Pas sûr. C'est une logique suicidaire que des décennies de féminisme ont bien documentée. Et la pièce finit d'ailleurs par un suicide.

Registre électrique

En revanche, on retient le registre éclectique des danseuses, l'énergie désopilante d'Émilie Gratton-Beaulieu en lapine Playboy, le duel de libido brute entre Geneviève Bolla et Mélanie Haché, le magnétisme maîtrisé de Marie-Gabrielle Ménard, l'authenticité de quatre interprètes qu'on sera heureux de revoir. Si la pièce ne devait servir qu'à cela, ce serait déjà un but atteint.

Dave St-Pierre en a déjà dit tellement plus sur le féminin, et de façon si subtile et bouleversante (on pense à la fille qui parle à son père absent dans son haut-parleur, à la femme obèse devant le chirurgien plastique dans La pornographie des âmes ou à celle qui se fait jouir dans un gâteau faute de mieux dans La tendresse...) qu'on se demande bien pourquoi ça ne fonctionne pas ici.

Le propos semble daté, fait penser à une banlieue du New Jersey dans les années 60. Or, on est à Montréal en 2008, le Québec est champion mondial du non-mariage, les femmes y sont notablement fortes. À l'inverse, les images d'hypersexualisation montrées dans Warning n'arrivent pas à la cheville de ce qui fait l'univers quotidien de trop de préadolescentes. Tout est trop ou pas assez. Le feuilleton Beautés désespérées ou le film American Beauty sont plus éloquents sur le sujet.

Une des forces des pièces de St-Pierre tient aux textes, or ici chaque mot ou phrase prononcé reste conformiste. On en sort un peu triste et amer. Tout ça pour ça? Non, trop dommage!

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Warning, de Dave St-Pierre et Mandala Situ, jusqu'au 29 novembre, 20 h, au Théâtre de la Chapelle.