Qui pense encore au conflit israélo-palestinien ? Aux Territoires occupés ? À toutes ces vies fauchées (dans les deux camps) ? La vérité est que plus personne ne s'en émeut. On en est venu à classer cette guerre-là dans le rayon des conflits insolubles, tout en craignant l'eau qui continue de bouillir dans le chaudron...

Le dramaturge canadien Jonathan Garfinkel - qui a grandi dans une famille juive de Toronto - a osé le faire (y penser), et de fort jolie façon. Sa Maison aux 67 langues, traduite par François Archambault, est une fable brillante - et drôle ! - sur un sujet qu'on ne sait plus comment aborder. Surtout pas au théâtre...

Ici, vous entendrez parler une maison, un chameau et un... clitoris !

Nous sommes donc à Jérusalem, dans la maison d'un général israélien à la retraite (Shimon), qui a élevé seul son garçon Alex, âgé de 15 ans. Le général, apparemment illettré, voudrait bien écrire un livre relatant son histoire et ses faits d'armes durant la guerre des Six Jours (1967). Témoigner de sa vie « sous tension », dans un pays où « tu tues l'autre ou tu te fais tuer ».

C'est donc naturellement qu'il se tourne vers son fils pour écrire cette histoire. Mais le jeune ado en plein éveil sexuel (très bon Gabriel Szabo) ne veut rien savoir.

Après s'être renseigné sur les techniques de sexe oral (eh oui, grâce à Wikipédia), il expose les fondements de sa Révolution du cunnilingus. On est rendus là, mesdames et messieurs. Si les Israéliens prenaient le temps de faire des cunnilingus aux femmes palestiniennes et les Palestiniens faisaient de même avec les femmes juives, le Proche-Orient serait sauvé !

Ne riez pas. Toutes les options doivent aujourd'hui être considérées... Un intellectuel palestinien, Abu Dalo, débarque chez Shimon, en affirmant que la maison lui appartient.

Cette maison qui parle - excellente Violette Chauveau - est au coeur de la fable de Garfinkel. Parce qu'elle a chuchoté des mots doux à Shimon ; mais aussi à Abu Dalo, qu'elle reconnaît. Petit à petit, les deux hommes s'apprivoiseront, et c'est finalement le Palestinien (Ariel Ifergan) qui écrira l'histoire de Shimon (Daniel Gadouas)... en même temps que sa propre histoire.

Une autre histoire se greffe à la leur : celle de leurs enfants. Car Alex fera la connaissance (et s'entichera) de la fille d'Abu Dalo, Suha (Mounia Zahzam). Deux ados qui se « foutent » de l'histoire de leurs parents, mais qui sont soumis aux diktats de leurs camps respectifs. Roméo et Juliette dans la poussière des bombardements et des tirs de mortiers...

D'où l'éternelle question : comment mettre fin à la transmission de la haine de l'Autre ? Le chameau (hilarant Frédéric Desager, qui interprète aussi le rôle du clitoris) posera même la question au poète palestinien Mahmoud Darwich, qui a écrit de jolies choses sur le sujet et dont le premier grand amour était une femme juive.

Il y a dans cette pièce mise en scène avec ingéniosité par Philippe Lambert des moments de fantaisie et d'humour absurde savoureux. On pense notamment à cette scène où « la maison » tente de rapprocher les deux ados pendant que le chameau chante Hallelujah de Leonard Cohen. Touchant et délirant à la fois.

« Faites l'amour, pas la guerre », c'est vrai qu'on pense à ce slogan mille fois entendu, mais il y a dans La maison aux 67 langues quelque chose de vraiment rafraîchissant. Quelque chose comme un filet de lumière. On espère seulement qu'il se rende un jour jusqu'à Jérusalem.

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La maison aux 67 langues

Mise en scène : Philippe Lambert

Texte : Jonathan Garfinkel, traduit par François Archambault

À La Licorne, jusqu'au 23 mars