Poésie et rock ne font qu'un dans Parce que la nuit, pièce-concert inspirée par la vie et l'oeuvre de Patti Smith. Une création qui, à l'image de l'artiste à l'esprit punk, sort des sentiers battus pour mieux tracer sa propre voie. Ou quand l'art fait foi de tout.

Malgré la durée du spectacle (2 h 10 min), on n'a guère le temps de s'ennuyer pendant Parce que la nuit. C'est que la pièce non seulement nous offre une plongée intimiste dans la vie fascinante aux accents tragiques de Patti Smith, mais propose du même coup un panorama exaltant, en paroles et en musique, de l'époque où la poète, artiste peintre et chanteuse a vécu. Une époque de tous les possibles et sans limites, celle des années 60 et 70, des beatniks, de la contre-culture, de la naissance du mouvement punk.

Brigitte Haentjens signe la mise en scène - plus près du concert rock que de la pièce de théâtre à proprement parler avec sa plateforme accueillant un band, ses micros et ses projecteurs, le tout appuyé de façon subtile mais efficace par des projections en arrière-plan - et le texte, avec Dany Boudreault (et en collaboration avec Céline Bonnier), de cette proposition forte et passablement libérée des contraintes du genre théâtral.

Et c'est ce texte, magnifiquement écrit et empreint de la beauté nocturne de la poésie de Patti Smith, qui est la pierre d'assise du spectacle et contribue grandement à sa réussite.

S'abreuvant librement aux écrits de l'artiste (particulièrement l'autobiographie Just Kids), racontant sa vie à travers des épisodes marquants, le spectacle distille un lyrisme rock, à la fois brut et touchant, se nourrissant à même les artistes qui ont nourri Smith, de Rimbaud à Kerouac en passant par Robert Mapplethorpe et Sam Shepard, qu'elle a intimement connus.

Plurielle et inclassable

Céline Bonnier incarne Patti Smith, mais Haentjens fait le choix judicieux de ne pas confiner le personnage dans un seul corps. Bonnier est accompagnée (et complétée) sur scène par Alex Bergeron, Dany Boudreault, Martin Dubreuil et Leni Parker ; ils prennent ici les traits des frères et soeurs de Patti, là ceux des multiples hommes et artistes qui ont marqué sa vie, mais deviennent aussi parfois des fragments de l'identité plurielle de Patti Smith.

Dans ces rôles sans cesse interchangés, le genre importe peu. Les hommes affichent leur côté féminin, les femmes sont androgynes, la femme devient homme et l'homme, femme. Un écho à l'ambivalence incarnée par Smith et sa silhouette émaciée à la dégaine masculine, qui voulait à la fois être one of the boys et prête à tout sacrifier, jusqu'à son art, pour l'homme de sa vie.

S'autoproclamant « soumise » aux hommes, romantique absolue comme l'était Rimbaud, son premier amour, elle refuse l'étiquette de féministe, mais incarne cet esprit punk à l'indépendance farouche, inflexible. Et ce paradoxe qui est au coeur même du personnage inclassable, Parce que la nuit réussit franchement bien à le traduire, sans tomber dans les clichés.

Les fils du récit s'entremêlent, pas toujours chronologiques, reprenant des épisodes romancés de la vie de Patti Smith - sa grossesse à 20 ans, son « secret nommé désir » de quitter le New Jersey, ses errances à New York sans le sou, St. Mark's Church et le Chelsea Hotel, lorsqu'elle se casse le cou en tombant d'une scène en plein concert... - et conviant sur scène des personnages mythiques de l'époque, de Jack Kerouac à Iggy Pop.

La musique occupe évidemment une place de premier plan, ponctuant les scènes narrées et insufflant du rythme à la création. Des pièces de Patti Smith, surtout - Gloria, Because the Night... - interprétées parfois par Bonnier, parfois par les autres acteurs.

Il est certes périlleux de demander à des acteurs de se transformer en chanteurs. Tous s'en tirent quand même bien, avec quelques notes parfois hésitantes, mais d'autres tirent mieux leur épingle du jeu, particulièrement Leni Parker, au casting parfait. Dany Boudreault, galvanisé, est aussi animé jusqu'au bout des cheveux par l'esprit punk rock.

Quant à Céline Bonnier, elle offre une performance somme toute juste, mais un peu effacée. C'est en fin de spectacle, dans un passage particulièrement à fleur de peau, qu'on la sent sortir de sa chrysalide pour offrir un moment fort, très senti, appuyé par une interprétation tout en vulnérabilité de la pièce Dance Barefoot.

Un beau moment qui conclut cette pièce qui ravira sans aucun doute ceux qui sont fascinés par Smith et cette époque folle où son art a émergé, et qui permettra à ceux qui la connaissent peu de la découvrir. Au-delà de l'anecdotique, Parce que la nuit est aussi, et surtout, un plaidoyer vibrant pour l'art total, radical, celui qui porte et transporte, qui fait « pulser cette pierre dans notre coeur d'une vie ardente ».

* Les représentations affichent complet, mais il est possible d'ajouter son nom à une liste d'attente.