De l'entrée pompeuse d'Éric-Emmanuel Schmitt (en Georges Bizet, avec sa redingote noire et son gilet ajusté), jusqu'à la finale tragicomique où Carmen se jette sur le couteau de Don José, en passant par le décor kitsch, il se dégage de la production du Mystère Carmen « un parfum capiteux du Second Empire », pour citer Schmitt. Or, nous ne sommes pas sous Napoléon III. À notre époque, cette production risque de plaire aux bobos, ces « bourgeois-bohèmes » qui estiment que l'art et la musique sont des valeurs sûres. Rassurantes.

Reste qu'Éric-Emmanuel Schmitt est un auteur à succès dont les oeuvres ont le mérite de nous divertir en nous faisant réfléchir. L'homme sait trouver les mots pour répondre aux questionnements existentiels. Avec ses récits, il est capable de vulgariser les aspérités de la condition humaine, avec de jolies formules et de beaux sentiments.

Le problème, c'est que l'auteur dit ses propres mots avec tellement de majesté, de superbe, qu'on est presque gêné de ne pas partager son enthousiasme à chaque figure de style. Chez Schmitt, même le doute ressemble à une posture.

La créature et son créateur

On comprend que le curieux destin de Bizet l'ait happé au point de vouloir le jouer au théâtre. Du Visiteur au Libertin, en passant par Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Éric-Emmanuel Schmitt adore ces personnages tout en contraste, philosophes malgré eux. Avec Le Mystère Carmen, l'auteur raconte la vie du compositeur français, mort à 36 ans, quelques mois après la première houleuse de son opéra, en le mettant en scène avec son mythique personnage qui lui donnera accès à la postérité.

Bizet, le ténébreux romantique, et Carmen, la sulfureuse Andalouse, sont deux profils opposés, mais complémentaires. Leur « rencontre » tient autant du destin que de la magie de la création. Comme dans la promesse d'un amour avec un être cher, il y a, autour de l'histoire de cet opéra célèbre, tout ce qu'un artiste souhaite : faire une oeuvre qui donne du sens à sa vie... et à la vie des autres.

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LE TNM

Éric-Emmanuel Schmitt se glisse dans la peau de Georges Bizet, créateur de l'opéra Carmen.

Une scène en quête d'acteurs

Ce spectacle, qui marie théâtre et musique à parts égales, est ponctué des grands airs de l'oeuvre la plus jouée du répertoire. Ils sont interprétés par Marie-Josée Lord et Jean-Michel Richer, accompagnés par l'excellent pianiste Dominic Boulianne. La mise en scène de Lorraine Pintal fait beaucoup bouger les interprètes (sauf le pianiste, bien sûr) comme dans une corrida. Une façon de donner de l'énergie et de théâtraliser ce spectacle musical. Si Mme Lord et M. Richer arrivent à nous émouvoir en interprétant des airs connus de Carmen (et d'autres pièces de Bizet), on ne sent pas, hélas, le feu du désir ardent consumer les amants. On est loin de la chimie entre Anna Caterina Antonacci et Jonas Kaufmann, pour ne nommer que ceux-là.

Or, ce qui dérange le plus dans cette production, ce n'est pas le jeu moyen ni le texte qui décortique une oeuvre 1000 fois analysée depuis 150 ans. C'est de voir sur la scène du TNM, un auteur, une soprano, un ténor, un pianiste... mais pas l'ombre d'un comédien. Que la directrice de la plus grosse compagnie de théâtre au Québec crée et programme, au beau milieu de la saison, un spectacle sans acteurs, voilà le vrai mystère de Carmen !

**1/2

Le Mystère Carmen

Pièce d'Éric-Emmanuel Schmitt. Mise en scène par Lorraine Pintal. Avec Marie-Josée Lord et Jean-Michel Richer et Éric-Emmanuel Schmitt.

Au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), jusqu'au 16 mars. Aussi en tournée dans 13 villes québécoises en avril et mai.

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LE TNM

Dans Le Mystère Carmen, « on ne sent pas, hélas, le feu du désir ardent consumer les amants », note notre critique.