Dans XENOS, Akram Khan livre une ultime performance avant de tirer sa révérence en tant qu'interprète. Prenant les traits d'un soldat envoyé au front, revivant traumatismes et horreurs de la guerre, le chorégraphe de 43 ans, à fleur de peau, propose une réflexion sensible sur ce que signifie être humain.

Il y a des histoires que l'Histoire oublie. C'est le cas de ces hommes des colonies britanniques envoyés se battre de force pour le Royaume-Uni lors de la Première Guerre mondiale. Parmi eux, plus d'un million étaient indiens.

Un événement qui a sombré dans les limbes de la mémoire de l'humanité, mais qui a résonné de façon particulière chez Khan, qui, bien qu'il ait grandi en Angleterre, est né de parents ayant émigré du Bangladesh.

La pièce s'ouvre avec ce qui ressemble à une scène de mariage ou de fête, alors que chanteur et percussionniste emplissent l'espace d'une musique traditionnelle rythmée. Chaises, balançoire et coussins sont disposés autour d'eux, et une installation lumineuse pend du plafond. Derrière eux, une scène inclinée où serpentent des mètres et des mètres de cordes.

Khan, qui débarque sur la scène comme projeté d'un autre monde, commence à tournoyer, brossant des mouvements inspirés du kathak, danse traditionnelle indienne et signature personnelle de l'interprète, mais cette dernière ne cesse de se briser, de s'interrompre, comme écrasée par un poids plus grand, alors que régulièrement, la main vient recouvrir la bouche, comme pour contenir l'horreur qui rampe autour.

Sous la surface, un autre monde gronde, et bientôt survient la fracture: les lumières clignotent et perdent en intensité, la musique grésille, et soudainement, la scène devient noire. Puis, dans un éclairage crépusculaire, tout le mobilier, attaché à des cordes, est traîné jusqu'en haut de la pente, pour aller sombrer dans l'abysse qu'on devine de l'autre côté. «Ce n'est pas la guerre. C'est la fin du monde», dit la voix hors champ de Khan.

Dans les limbes

Akram Khan prend les traits d'un soldat indien qui fut autrefois un danseur, envoyé de force au front et brisé par la guerre et les traumatismes qu'elle a gravés en lui. Le spectateur suit sa pérégrination dans un espace-limbe, une réalité fracturée où l'interprète évolue, incapable d'échapper à ses souvenirs, revivant encore et encore les horreurs qu'il a subies - et fait subir.

Dans ce no man's land dénudé, éclairé faiblement d'une lueur rougeâtre, le soldat est dépossédé de son identité, fragmentée, éclatée comme une chair à canon, et perdu dans les mines de ses territoires intérieurs alors que, sur une plateforme à l'arrière-scène, se révèlent cinq musiciens qui jouent des airs allant de la musique traditionnelle indienne au Requiem de Mozart. Comme toujours, le chorégraphe sait enrober ses créations d'une musique puissante et évocatrice (du compositeur Vincenzo Lamagna), exécutée en direct.

Au-delà de l'histoire particulière de ce «simple» soldat, ce qu'interroge Khan, c'est ce que signifie être humain - dans sa magnificence, mais aussi, surtout, dans sa capacité à créer l'horreur.

Une performance à fleur de peau

Khan est un grand interprète et, alors qu'il se bat lui-même contre un corps douloureux et vieillissant, il offre une performance dépouillée, à fleur de peau, qui touche à l'essentiel. 

La scénographie est efficace et visuellement superbe, et on reconnaît la signature du créateur dans une gestuelle mâtinée d'influences orientales et occidentales.

XENOS - qui signifie «étranger» en grec - est un véritable combat, à la fois extérieur et intérieur. Combat contre les éléments, les souvenirs, la souffrance, alors que le corps de Khan s'écroule, se cambre, se rompt, rampe, grimpe, trébuche, puissant et fragile tout à la fois, dans une suite de séquences où panique et désespoir s'entrecroisent.

Notre bémol : d'une scène à l'autre, on retourne inlassablement aux mêmes images, aux mêmes mouvements et tourments, prisonniers, à l'image du personnage, de ce monde fracturé. De là l'impression d'une certaine redondance qui finit par enlever de sa force de frappe à la pièce et par engloutir le spectateur.

À notre humble avis, XENOS n'est pas la pièce la plus puissante ni la plus facilement déchiffrable de Khan. Mais ne serait-ce que pour voir l'interprète une ultime fois sur scène et pour les sujets, difficiles mais essentiels, qu'elle met à nu, elle vaut la peine d'être expérimentée.

* * * 1/2

XENOS. Akram Khan. Jusqu'à demain, au Théâtre Maisonneuve.