Belle joute verbale, fine réflexion sur l'amitié masculine et grand combat de coqs, «Art» est tout ça, et aussi une pièce qui a eu un énorme succès et raflé des prix dans le monde entier. Et ce, depuis un quart de siècle.

Une question demeurait: était-il pertinent de (re)produire «Art» au Rideau Vert, en 2019? La réponse est oui. Le texte de Yasmina Reza, créé à Paris en 1994, est toujours aussi efficace et actuel. Sa pièce a même gagné une couche de sens avec le temps. Qui plus est, «Art» est joué par trois virtuoses au sommet de leur art! 

À une époque où la conciliation se meurt, où l'on bafoue, en conséquence, ceux qui ne partagent pas nos opinions et nos goûts, la comédie se transforme en un traité de la tolérance. L'oeuvre démontre, toujours avec brio, la complexité de la psychologie humaine; la superficialité des étiquettes et des conventions de classes; la fragilité des amitiés qui, comme nos amours, peuvent basculer en un quart de tour. Mais elle fait aussi écho au bruit social ambiant: «Art» est une pièce sur l'intolérance, d'autant plus cruelle que ce sentiment affecte trois vieux amis. Imaginez quand il se joue entre ennemis...

Ombre au tableau

Serge, Marc et Yvan sont amis depuis 30 ans. Médecin et amateur d'art, Serge vient d'acheter un tableau monochrome d'un artiste contemporain renommé sur le marché. Son nom? Antrios. Une référence au carré blanc sur fond blanc du peintre russe Kasimir Malevitch. Ah oui, un détail. L'amateur a déboursé la coquette somme de 100 000 $ pour cette toile «essentiellement blanche, avec de fins liserés blancs transversaux».

Serge invite Marc chez lui pour lui montrer son tableau. Cet ingénieur dans l'aéronautique juge que celui-ci est «une merde» payée à un prix exorbitant. Lorsqu'Yvan arrive pour tenter de calmer le jeu, le conflit tournera à l'hécatombe.

Un trio d'as!

Au coeur de cette pièce d'un acte sans longueurs, le tableau est donc un quatrième personnage, celui par qui le conflit arrive et se résoudra... ou pas. L'obscur objet de leur discorde n'étant que le prétexte à un mal plus profond, sournois, dont nul ne sait s'il disparaîtra.

Tout cela est limpide dans la mise en scène - habile et précise - de Marie-France Lambert.

À ses premières armes dans ce rôle, la comédienne a dirigé ses trois acteurs virtuoses d'une main de maestro!

Ici, pas l'ombre d'un début de cabotinage dans le Serge de Benoît Brière, excellent, et tout en retenue. Dans la peau de Marc, un homme blessé et narcissique qui a besoin d'être admiré pour surmonter sa peur de l'abandon (le personnage est hypocondriaque), Martin Drainville est juste, touchant, presque stupéfiant. L'acteur livre une performance d'une grande vérité. Dans le rôle plus effacé, mais essentiel d'Yvan, Luc Guérin donne une admirable prestation. Il reçoit quelques claques du public durant la représentation.

On touche ici à quelque chose qui dépasse le théâtre, le jeu et le talent. Sur scène, la complicité entre ces trois acteurs - qui se connaissent depuis longtemps et qui travaillent souvent ensemble - est palpable. Au point que l'on pourrait penser que Yasmina Reza a écrit «Art» pour ces trois acteurs!

* * * 1/2

Art. De Yasmina Reza. Mise en scène de Marie-France Lambert. Avec Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin. Au Rideau Vert, jusqu'au 2 mars.