« Words, words, words », répond Hamlet à Polonius lorsque ce dernier lui demande ce qu'il est en train de lire. « Des images, des images, des images », pourrait-on répliquer à ceux qui nous demandent : et puis, le dernier Robert Lepage ?

En effet, il y a beaucoup de belles et magnifiques images, réalisées par le très doué Pedro Pires, dans Coriolan à l'affiche du Théâtre du Nouveau Monde (originalement créé en anglais au Festival de Stratford, l'été dernier, avec une autre distribution). La production fourmille de scènes magiques, grandioses, époustouflantes et très cinématographiques !

On est dans l'univers du 7e art, avec une boîte de scène rectangulaire qui se déploie pour faire des zooms et des fondus, des plans larges et des travellings avant. Or, derrière ce flot incessant d'images, le spectacle manque un peu de profondeur.

Certes, l'histoire est bien rendue et la traduction-adaptation de Michel Garneau est limpide. Lepage actualise le récit dans notre monde des réseaux sociaux, des « textos » et des nouvelles en continu. Mais ce Coriolan 2.0 est en panne de dramaturgie ; cet art d'éclairer les classiques du répertoire, afin de permettre au public d'entrer directement dans le coeur de l'oeuvre.

L'ennemi du peuple

Nous sommes à Rome, en 493 av. J.-C., alors que la famine dévaste la jeune république et que le peuple est révolté. Si les familles nobles et les patriciens au Sénat doivent écouter la voix du peuple, ça ne se fait pas aisément. Surtout pour Coriolan (Alexandre Goyette, très juste), un jeune et glorieux guerrier élevé par sa mère ambitieuse et machiavélique (excellente Anne-Marie Cadieux). Car Coriolan méprise le peuple, qu'il qualifie de « racaille », et il est incapable de mentir aux citoyens. Après avoir gagné la bataille de Corioles, Coriolan revient chez lui en héros de guerre. Dès lors, sa mère le voit consul pour diriger la république. Hélas pour elle, son fils se fera bannir de Rome. Coriolan complotera avec l'ennemi pour se venger...

De la démocratie 

Il y a quelque chose de pourri au royaume de la démocratie, avance Shakespeare dans Coriolan. D'un côté, la suffisance et la corruption des élites ; de l'autre, l'abus de pouvoir et la conspiration des représentants du peuple. D'où l'éternelle instabilité de la gouvernance.

Techniquement, théâtralement, le metteur en scène est au sommet de son art ! Toutefois, son bel écrin artistique ne dialogue pas toujours bien avec le texte. Surtout parmi les maillons faibles d'une distribution qui a heureusement de fortes pointures : Cadieux, Goyette, mais aussi Rémy Girard, Widemir Normil, Philippe Thibault-Denis, Louise Bombardier...

Au bout du compte (trois heures avec entracte), ces somptueux tableaux multimédias concoctés par Lepage et son équipe de génie voilent un peu la parole de Shakespeare. Alors, on se pose une question : avec tous les moyens artistiques et financiers dont dispose Robert Lepage, pourquoi n'a-t-il pas eu recours à un dramaturge, un conseiller au texte, pour analyser et éclairer ses multiples couches de sens ?

Certes, Lepage est en terrain familier chez Shakespeare, particulièrement avec Coriolan, « l'une des pièces les plus riches et les plus complexes du répertoire shakespearien », écrit-il dans le programme. Il avait déjà monté deux fois cette pièce rarement produite en français. Il y voit une illustration de nos démocraties actuelles en souffrance, manipulées par les démagogues, les réseaux sociaux et la « dictature des likes et des clics ». C'est beau, mais c'est un peu court. À l'instar de sa mise en scène qui nous éblouit sans nous ébranler.

***1/2

Coriolan de Shakespeare

Traduction et adaptation de Michel Garneau

Mise en scène : Robert Lepage

Avec Alexandre Goyette, Anne-Marie Cadieux, Rémy Girard et 14 autres interprètes

Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu'au 17 février