Qui est cette femme troublée, anxieuse, seule dans sa cuisine éventrée, en train d'éplucher des pamplemousses comme si elle excisait sa propre chair? Elle n'est pas rebelle ni héroïne, pas Phèdre ni Lady Macbeth. Seulement une femme ordinaire. Et qui souffre.

La nouvelle pièce d'Annick Lefebvre présente un personnage féminin qui exprime, dans un monologue d'une heure, son mal de vivre, son sentiment d'inadéquation, avec l'urgence de dire. Comme si cette femme devait s'accrocher à cette bouée de sauvetage pour rester en vie: les mots.

Créée en novembre dernier au Théâtre de la Colline à Paris, Les barbelés ouvre la saison du Quat'Sous de façon saisissante. Dans ce monologue très dense, par moments violent, l'auteure de J'accuse aborde plusieurs sujets actuels ; un peu trop, même... On comprend mal ce que l'accueil d'une famille de réfugiés syriens apporte au texte.

Toutefois, Mme Lefebvre n'écrit pas du théâtre à thèmes. 

Bien que Les barbelés évoque la politique, le sexe, la religion - cette trinité de l'aventure humaine -, l'auteure le fait à sa manière, unique et décapante.

Annick Lefebvre maîtrise l'art de l'écriture. Sa langue à la syntaxe précise utilise des images circulaires autant que des expressions du quotidien. Sous un angle intimiste, ouvertement féministe, la pièce lance des pointes d'humour au milieu de la grande noirceur du récit.

Huis clos

Dans la mise en scène anxiogène d'Alexia Bürger, la logorrhée du personnage se heurte aux murs de sa cuisine, comme dans un huis clos existentialiste. Le décor apocalyptique signé Geneviève Lizotte, sous les beaux éclairages du talentueux Martin Labrecque, accentue le côté claustrophobe de cet univers.

La représentation respecte l'unité de temps et d'action. Dès le début, on sait que cette femme se délivre d'une parole débordante, avant d'être forcée au silence. Elle est condamnée : des barbelés se répandent dans son corps et ils vont envahir sa bouche d'ici la fin du spectacle.

Une grande performance!

La comédienne Marie-Ève Milot livre une performance bouleversante. Son corps est carrément traversé par le texte de Lefebvre. Sur scène, l'actrice est prise de convulsions, gesticule frénétiquement, crache du sang, puis s'immobilise pour mieux fixer le public dans les yeux.

Avec cette pièce coup de poing, Annick Lefebvre livre un témoignage capital sur la douleur humaine. Elle lance un déchirant cri du coeur afin que cesse le bruit ambiant de notre étourdissante époque. En nous exposant son coeur.

* * * 1/2

Les barbelés. Texte d'Annick Lefebvre. Mise en scène d'Alexia Bürger. Avec Marie-Ève Milot. Au Quat'Sous, jusqu'au 26 septembre.

Photo Simon Gosselin, fournie par le Quat'Sous

Le décor apocalyptique signé Geneviève Lizotte, sous les éclairages de Martin Labrecque, accentue le côté claustrophobe de l'univers mis en scène dans Les Barbelés.