Grand moment de théâtre avec L'Iliade, adapté librement et mis en scène par Marc Beaupré. Un formidable travail d'équipe porté par une musique omniprésente.

Marc Beaupré et Stéfan Boucher y ont mis plusieurs années, mais le résultat est exceptionnel. Le temps, la réflexion et le bel ouvrage se sentent dans les moindres détails de cette production de L'Iliade. Une oeuvre qui nous redit - puisqu'à l'évidence du chaos moral du monde actuel, il faut le répéter - la folie des hommes. Leur orgueil, leur jalousie et leur égoïsme qui détruisent tout.

Dans cette adaptation, on passe rapidement et intelligemment sur l'avant et l'après-Iliade (l'enlèvement d'Hélène et le cheval de Troie) pour se concentrer sur Achille et son talon qui ne se situe pas où on pourrait le penser. La véritable faille du héros grec, c'est sa dévorante vanité. 

Né et sculpté pour se battre, le parfait soldat refuse de reprendre l'épée parce qu'il s'est fait voler sa caisse de retraite - on paraphrase ici - par son gouvernement. À l'époque, ça s'appelait un roi.

Il laisse son meilleur ami, le vaillant et jeune Patrocle - peut-être son amoureux, selon certaines versions -, prendre son armure et son casque pour se battre à sa place. Son adversaire, le héros troyen Hector, le tue, Achille se venge, tue tout le monde, même un enfant, avant de terrasser Hector, comme il se doit. On résume ici.

Mais il y a la manière. Ah, la manière! 

Tout en respectant certains codes anciens - comme l'utilisation du choeur -, Marc Beaupré renouvelle l'approche du texte en faisant décrire l'action plus qu'en la jouant. Mais le jeu lui-même s'enrichit d'une gestuelle empruntée au langage des signes et aux arts martiaux. Sans dépassement de coups.

Même chose pour la musique. Stéfan Boucher s'inspire des percussions japonaises et autres musiques atonales pour dire la guerre. Plus que tapis sonore, sa partition devient accessoire dans les mains des acteurs ou carrément personnage. Parfois très douce et acoustique, à d'autres moments tonitruante. Une composition inspirée.

La distribution est excellente, menée par des Emmanuel Schwartz et Jean-François Nadeau endiablés. Les acteurs et actrices jouent, chantent et bougent dans une chorégraphie simple mais efficace. Tous pour un et un pour tous, en servant le verbe.

Avec ce travail serré de mise en scène et d'interprétation, une scénographie très élaborée aurait été superfétatoire. Des tapis, des murs nus, comme si on était presque dans la ruelle. D'ailleurs, les références au hip-hop et au rap sont pertinentes ici. Qu'y a-t-il de si différent entre nos gangs de rue et les cités d'autrefois qui se battent, surtout pour la possession d'un territoire et de femmes? 

Nous le disions. L'orgueil, la jalousie et l'égoïsme des hommes les poussent à s'entretuer. À perpétuer les guerres, malgré les avertissements d'une Cassandre et les pleurs d'une Andromaque. À décider de rester aveugles et sourds, obstinément. À vouloir être les maîtres absolus du monde, malgré les appels à la compassion et les dénonciations millénaires.

Les Grecs ont tout dit, tout écrit. On l'a dit et répété aussi. Mais de le refaire avec une telle vision du texte, de la mise en scène, de l'interprétation et de la musique démontre encore une fois le grand savoir-faire théâtral d'ici, avec relativement peu de moyens. Cet excellent travail est de qualité d'exportation.

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L'Iliade. D'Homère. Adapté et mis en scène par Marc Beaupré, inspiré d'Homère, Iliade d'Alessandro Baricco. Au Théâtre Denise-Pelletier jusqu'au 6 décembre.

Photo Gunther Gamper, fournie par le Théâtre Denise-Pelletier

La scénographie est composée de tapis et des murs nus, comme si on était presque dans la ruelle.