Avec tout ce qui se passe dans le milieu de l'humour en ce moment, on pourrait se rendre à reculons à un spectacle intitulé Déplaire. Disons que cette succession de scandales glauques, de chicanes, cette impression d'un milieu en train d'imploser commencent à nous enlever l'envie de l'humour trash et des blagues traumatisantes.

Mais on parle ici de Laurent Paquin, un humoriste qui avoue lui-même éprouver un grand malaise à l'idée de déplaire, assez pour n'avoir jamais été capable de retourner un plat au restaurant, et qui ne le ferait pas même s'il avait une allergie alimentaire.

Cependant, avoir peur de déplaire ne le transforme pas en une espèce de «licheux» prêt à tout pour plaire, et il amorce son spectacle avec ce qu'il appelle une blague baromètre: «La pire façon d'apprendre que ton meilleur ami couche avec ta blonde, c'est lorsque son pénis goûte ta blonde.» Ça commence raide, mais rien de ce qui viendra ensuite n'aura, disons, cette saveur douteuse. De toute façon, dit-il, «on n'écrit pas un show en fonction des épais, ça retarde le groupe». Aucune allusion à ce qui se passe en ce moment, «il y a assez de marde de même», souligne-t-il, sans plus, en les invitant à aller voir le show de Peter MacLeod à la place.

Il ne comprend pas les gens qui sont fiers de dire qu'ils ne rient pas beaucoup dans la vie. «C'est quoi, cette fierté ? Être l'émoticône de Claude Poirier?» Pas plus les gens qui «tripent trop» ni ces expressions exagérées pour parler de quelque chose qu'ils aiment, comme «tu vas capoter», «c'est écoeurant, c'est malade, c'est débile » ou, plus intense encore, «tu vas chier à terre!».

De toute façon, il est bien conscient que s'il est impossible de plaire à tous, il est tout aussi impossible de déplaire à tout le monde. Même le pire des salauds peut obtenir des votes, et les tueurs en série ont des fan-clubs.

Il a un autre baromètre personnel: René Simard, le gars le plus gentil du milieu artistique, selon lui. «Il est hypoallergène, tu ne peux pas le haïr», croit-il, et il juge les gens qui ne l'aiment pas. Il est même prêt à faire sortir de la salle ceux qui ne sont pas capables de chanter L'oiseau.

Autodérision

Le quatrième one-man-show de Laurent Paquin revient sur ses thèmes de prédilection - son autodérision concernant son poids («je suis un boulimique amnésique: j'oublie de me faire vomir»), sa calvitie, et ces «petites choses de la vie» qui l'inspirent - même s'il souligne, un peu exaspéré, que c'est en général celles qui inspirent tous les humoristes. On ne sent pas le travail chez Paquin, qui endosse toujours son rôle de bon gars irrité par plein de trucs - les attentes déçues, nos névroses d'Occidentaux privilégiés, et encore le vin maison - tout en étant contrarié dans ses plaisirs, comme manger de la viande ou rester assis. La voix du père aussi, qui constate que «les enfants ne peuvent pas savoir à quel point on les aime, et c'est normal, parce qu'ils sont trop occupés à scrapper nos vies».

C'est la voix de l'homme ordinaire pétri d'angoisses, allergique au pouvoir. Il ne voudrait même pas être médecin. «Parce que si je sauvais la vie de quelqu'un, je passerais mon temps à l'appeler.» La voix de l'être humain qui n'a que l'humour pour résister aux petites humiliations et aux grandes peurs, particulièrement celle de la mort. «Rire de la mort, c'est peut-être ça le sens de l'humour ultime», lance-t-il dans la seule tirade sérieuse de ce spectacle qui, s'il ne contient pas vraiment de moments particulièrement forts, n'a pas non plus de ratés. Pour reprendre ses propres mots, on n'a pas «chié à terre», mais on a aimé.

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Déplaire de Laurent Paquin, jusqu'au 11 novembre au Monument-National, en supplémentaires les 13 et 14 avril au Théâtre St-Denis