Symbole de tout ce qui ne va pas avec l'American Dream, un homme ment pour vendre, pour gagner, pour exister. Colérique, il veut être aimé de tous, mais ne reçoit qu'indifférence ou mépris en dehors de son cercle familial.

Mais Willy Loman ne dirige pas une entreprise, encore moins un pays. Il est davantage une victime qu'un bourreau, un rêveur qu'un manipulateur. Il est le visage de l'Amérique d'après-guerre aveuglée par le succès et les profits vite faits. Il est le parfait soldat d'un modèle capitaliste où l'on croit quiconque promet un fantasme impossible à réaliser.

Un rêve qui prétend qu'absolument tous peuvent y arriver. Qu'il est permis de croire qu'à coups de combines, d'hypocrisie et d'esprit retors, on peut voler la part de tarte aux pommes du voisin sans qu'il s'en aperçoive.

C'est la beauté et l'importance de ce grand classique d'Arthur Miller à ce moment-ci de l'histoire.

Nul besoin de transposer la pièce à notre époque pour comprendre la fourberie d'un système qui dévore les gagne-petit comme il se nourrissait autrefois d'esclaves.

De retour et en pleine forme, Serge Denoncourt sait qu'il n'a rien à ajouter au crescendo inhérent à cette tragédie de l'homme ordinaire. Sa mise en scène exemplaire de sobriété et de finesse souligne par de petites touches pertinentes - quelques notes mélancoliques de musique ici, des rires de femmes hors champ là - les subtilités du texte.

Une distribution éclatante

Moins omniprésent sur les scènes depuis quelque temps, le metteur en scène se concentre sur le jeu des acteurs, qui forment un groupe bien compact. 

Très attendu, Marc Messier en Willy Loman mérite notre respect. Incarnant une figure pathétique, il passe de la légèreté à la colère de manière époustouflante. 

Toutefois, serait-ce son aura brouesque et télévisuelle ou certains tics d'acteur, il ne nous est pas apparu toujours aussi imposant que ce rôle complexe l'exigerait. Quelques représentations de plus et tout devrait rentrer dans l'ordre.

D'autant plus que les performances de la distribution de soutien sont formidables. Éric Bruneau, notamment, touche droit au coeur dans son rôle du fils mal-aimé Biff. Louise Turcot - ah ! quelle dame ! - semble porter de sa voix brisée tout le poids de la tragédie qui se joue devant nous.

Enfin, Robert Lalonde est parfait dans la peau du « diable » de frère de Willy. Parce que c'est bien de ça qu'il s'agit. Nous sommes devant un drame total, moderne et insidieux. La fin d'un monde qui se cache dans les replis d'une humanité égarée qui préfère la bonhomie à la profondeur, l'agitation à la réflexion.

La mort d'un commis voyageur, c'est le véritable déclin de l'empire américain. L'autopsie d'un mensonge exigeant la dévotion d'une grande partie de la population au fantasme préfabriqué du dieu argent.

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La mort d'un commis voyageur. D'Arthur Miller. Traduction et mise en scène de Serge Denoncourt. Au Rideau Vert jusqu'au 4 novembre.