C'est hier que s'est ouverte la 20e saison de Danse Danse, avec un doublé signé par la chorégraphe québécoise Marie Chouinard, qui avait d'ailleurs ouvert la toute première saison du diffuseur, il y a de cela deux décennies. Coïncidence? Bien sûr que non.

C'est une belle façon de clore un cycle pour Danse Danse, mais aussi une occasion parfaite de souligner le travail d'une artiste exceptionnelle dont le travail est reconnu à travers le monde - Marie Chouinard, rappelons-le, a été nommée commissaire de la Biennale de Venise jusqu'en 2020.

La semaine sera ainsi dédiée à la chorégraphe à la Place des Arts, avec d'abord le doublé Le cri du monde, accompagné de Soft virtuosity, still humid, on the edge, présenté encore ce soir. Suivra Jérôme Bosch: Le jardin des délices (voir encadré).

Chouinard y déploie son art comme elle sait si bien le faire, avec deux oeuvres fort différentes dans leurs esthétiques, mais liées par la signature unique d'une artiste à la voix forte, qui ne cesse de pousser sa recherche des multiples possibilités du corps humain en mouvement.

Mécanique bien huilée

La soirée débute avec Le cri du monde, oeuvre créée en 2000 et qui n'a que récemment été remise au répertoire de la compagnie. On ne peut qu'applaudir cette décision; la pièce n'a pas pris une ride et rive le spectateur à son siège.

Intense, prenante, forte, quelque peu inquiétante, Le cri du monde explore les moindres recoins du corps humain dans un ballet d'une grande précision, exécuté au quart de tour par dix danseurs sous tension, dans une mécanique parfaitement huilée.

Paumes tendues comme s'ils s'apprêtaient à se serrer la main, poignets fléchis à 90 degrés et bras angulaires, dans une position rappelant l'espace d'un cillement un hiéroglyphe égyptien, les silhouettes des danseurs apparaissent dans un éclairage vert sombre. Les mains se touchent, donnant le signal pour lancer une complexe joute chorégraphique exploitant tant les mouvements de groupe - que Chouinard maîtrise incontestablement - que les duos et les solos.

Les articulations des bras et des jambes plient, tournent, se figent, se déploient en extension, rotation, torsion. Toute la mécanique du corps y est passée au peigne fin, sur une musique d'échantillonnages laissant entendre bruits de déglutition, claquement de langues, susurrements inaudibles.

Tantôt inquiétantes, bouche ouverte dans un cri silencieux, tantôt presque comiques, les expressions faciales des danseurs accompagnent cette danse qui devient de plus en plus emportée, jusqu'au tableau final, véritable coup de poing.

Les visages du monde

Le travail de Marie Chouinard traverse le corps dans son entièreté; on l'a vue souvent explorer les possibilités du souffle, des sons gutturaux, de la mâchoire, la bouche, la langue. Dans Soft virtuosity, still humid, on the edge, que Montréal accueille en première nord-américaine, c'est toute la gamme des expressions faciales qui y passe, amplifiée par un écran géant au fond de la scène qui retransmet en direct, et en gros plan, ce qui se passe sur scène, donnant à voir de près les visages des interprètes.

Très contrasté, Soft virtuosity... fait cohabiter deux états qui semblent n'avoir rien en commun.

Sur une soucoupe géante qui tourne, deux femmes s'enlacent tendrement, légèrement. Leurs bras et leurs jambes flottent, comme en apesanteur, leurs têtes penchent de gauche à droite, mais leurs visages prennent peu à peu des expressions de plus en plus exagérées, voire grotesques, de surprise et de joie, alors que passent autour d'elles des silhouettes anonymes tordues, clopinant, boitant et sautillant sans grâce.

Puis, pendant un long, un interminable moment, s'étire un tableau où les danseurs regroupés bougent à peine, alors que la caméra s'attarde sur leurs faciès changeants et fort expressifs, faisant apparaître tour à tour colère, folie, terreur, béatitude.

Soft virtuosity... est un spectacle exigeant, déstabilisant, mais aussi, selon nous, émouvant, qui aborde l'idée de transformation, de mutation, et qui ne sera sans doute pas le favori de la majorité. Chouinard amène le spectateur là où il ne s'attend pas à être, ce qui est peut-être, à notre sens, sa plus grande qualité.

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Ce soir, au Théâtre Maisonneuve.

Fresque fantasmagorique

Dès jeudi, le public aura droit à une autre création de Marie Chouinard, l'une de ses plus récentes. Présentée pour la première fois l'an dernier, cette pièce créée dans la foulée du 500e anniversaire de la mort du peintre Jérôme Bosch a tourné dans plusieurs grands festivals internationaux et sera dansée pour la première fois à Montréal. La chorégraphe s'y inspire du célèbre triptyque de ce peintre du Moyen Âge et consacre un acte à chaque volet (Le jardin des délices, L'enfer, Le paradis). Une rencontre pleine de promesses entre la danse et les arts visuels sous la forme d'une grande fresque fantasmagorique.

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Du 28 au 30 septembre, au Théâtre Maisonneuve.