La compagnie australienne Circa, qui fait maintenant un crochet par Montréal à chacune de ses créations, est passée maître dans le mélange des genres: danse, théâtre, cirque, musique, le directeur artistique Yaron Lifschitz trouve chaque fois dans cet éclectisme un terreau fertile cohérent pour lancer ses interprètes dans l'arène. Sans compromis.

Il y a un peu plus de deux ans, il a poussé l'audace en invitant sur scène un petit ensemble, qui a interprété des quatuors de Chostakovitch en se mêlant avec les artistes de cirque. Un défi relevé avec éclat. Cette fois, Circa nous propose une « épopée lyrique » inspirée de l'opéra Le retour d'Ulysse dans sa patrie de Claudio Monteverdi.

Ne cherchez pas ici de clowns ni de monocyclistes. Ce n'est pas la tasse de thé de Yaron Lifschitz. Regardez plutôt du côté cour, un baryton et une soprano ont été invités à la fête.

Le chorégraphe australien n'a sans doute jamais été aussi loin dans cette fusion entre musique classique et cirque. Il s'appuie sur un scénario épique, qui fait le récit du retour d'Ulysse après 20 ans de guerres et de péripéties (à Troie) et de ses retrouvailles difficiles avec son amoureuse, Pénélope.

Dans cette pièce plus sombre que les précédentes créations de la compagnie, le cirque et l'opéra se passent le témoin avec fluidité, intelligence, virtuosité.

Deux chanteurs mènent le bal, entourés d'excellents musiciens - piano, clavecin, violon, violoncelle, harpe. Les artistes de cirque et l'ensemble musical s'interpellent, se répondent, se mêlent harmonieusement. Parfois la musique prend le dessus, parfois elle s'efface au profit des interprètes de la scène.

Vu la place de l'opéra, le risque que le cirque soit décoratif était grand, me semble-t-il. Mais les deux disciplines parviennent à s'entremêler avec une jouissive langueur.

Circa réussit magistralement ce que toutes les compagnies de cirque contemporain rêvent de faire: créer des chorégraphies au service d'une dramaturgie forte.

Jamais vous ne vous demanderez: pourquoi ce numéro de sangles maintenant? Vous aurez plutôt l'impression qu'aucun autre numéro que celui-ci n'aurait pu être présenté à ce moment-là.

La part de l'opéra est si importante qu'on aurait souhaité voir apparaître les surtitres pour suivre l'histoire et encore mieux apprécier l'interprétation des artistes. À bon entendeur.

Cela dit, Circa réussit à créer des images puissantes. Notamment avec ces duos qui avancent en multipliant les contorsions, les yeux rivés vers une lumière. Car ce retour d'Ulysse est aussi une allusion au «départ» des nombreux migrants et déracinés forcés à l'exil qui font partie de notre actualité quotidienne. C'est très réussi.

Corps désarticulés, paralysés, manipulés, souffrants, plusieurs scènes nous renvoient une image douloureuse de ce déracinement et de cette grande marche vers l'inconnu. La scène finale d'Ulysse et Pénélope (magnifique Bridie Hooper), poignante, scelle l'issue de ces retrouvailles, tandis que l'ensemble nous rappelle que la bonté peut exister.

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Jusqu'au 29 avril à la TOHU.