« Soyons sérieux ! », clame le slogan du Nouveau Théâtre Expérimental, faisant un clin d'oeil à la devise de son cofondateur, Robert Gravel : du sérieux dans la désinvolture. Or, si le nouveau spectacle de la compagnie touche à un sujet sérieux... il n'est jamais aride. On y trouve juste assez de dérision pour faire passer les réflexions ; et une bonne dose d'humour pour échapper à la sinistrose.

Extramoyen, splendeur et misère de la classe moyenne traite, comme son titre l'indique, de ce groupe de salariés, ni pauvres ni riches. Avec une perspective historique, l'oeuvre se penche sur l'éclatement du pacte social entre l'État et ses citoyens, au profit des entreprises et des nantis. Comme le fait l'excellent J'aime Hydro par l'entremise d'une enquête sur la société d'État, Extramoyen nous met face à nos contradictions. Et à nos illusions. 

La création est cosignée par Alexis Martin et Pierre Lefebvre, dramaturge, philosophe et rédacteur en chef de la revue Liberté. Les auteurs ont fait plusieurs entrevues avec des sociologues et avec le docteur en philosophie Alain Deneault, dont on peut entendre un extrait durant la représentation. 

HYBRIDE ET ÉCLATÉ

Le résultat donne un objet hybride, un spectacle très éclectique « entre une pièce de théâtre et un essai », selon Alexis Martin, campé dans un décor, signé David Gaucher, qui représente le squelette d'un bungalow meublé à l'ancienne. La maison unifamiliale (bungalow) représente, pour la classe moyenne, ce que le château est à la monarchie. 

Les 12 coups sonnent sur une famille nucléaire idéale qui entre en scène, celle typiquement années 50, comme dans Papa a raison ou Le docteur Welby, où maman est à la maison et papa travaille fort. On explique que les « 30 glorieuses », soit l'âge d'or de la classe moyenne, ont eu lieu de 1945 à 1975, alors que son pouvoir d'achat était fort et son taux d'entendement, très faible. 

Beaucoup d'eau a coulé sous le pont de l'économie depuis 40 ans. Le fossé entre les riches et les pauvres se creuse. La classe moyenne est devenue un concept flou, voire une idée aussi absurde que de prôner le juste milieu dans un monde qui carbure à l'excès ! Au point où, selon les créateurs d'Extramoyen, on doit repenser notre mode de vie, et notre frénésie de consommation. Le bonheur serait plus dans le pré que dans le prêt ?

POUR EN FINIR AVEC LA TÉLÉVISION

D'une scène à l'autre, on suit l'évolution de cette famille à travers les époques. Au milieu du salon, le téléviseur trône et fait partie du récit. À travers des jeux-questionnaires et des extraits de pubs et d'émissions, on nous montre que la télévision, depuis un demi-siècle, est devenue une sorte de deus ex machina de la société de consommation.

Il y a aussi des vox pop et du théâtre d'objets, dont une scène fort réussie qui retrace le long parcours autour du monde de la fabrication d'une simple lampe de chevet. La mise en scène de Daniel Brière est brillante, très efficace (malgré des transitions un peu longues entre des tableaux). Mais il faut bien que tout ce monde se change, et mette ses multiples costumes (une mention à l'excellent travail de recherche de la conceptrice Elen Ewing). 

Il faut dire que Brière peut compter sur le talent des Pierre Lebeau (qu'on voit en vidéo), Jacques L'Heureux, Christophe Payeur, Mounia Zahzam, Alexis Martin et Marie-Thérèse Fortin, toujours aussi sublime. Très complices, les cinq interprètes forment une distribution aussi solide que polyvalente.

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Extramoyen, splendeur et misère de la classe moyenne

Texte : Pierre Lefebvre et Alexis Martin

Mise en scène : Daniel Brière

Production du Nouveau Théâtre Expérimental

À Espace Libre, jusqu'au 29 avril

3 étoiles et demie