Le regretté Jean-Pierre Ronfard estimait que le metteur en scène devait se risquer à de nouvelles lectures et aborder le répertoire comme une création. Pour lui, le théâtre doit être ludique avant toute chose.

Au Théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant s'amuse comme un fou avec L'avare de Molière. Sans nier son côté sombre et grave - le vieux et vil Harpagon n'a rien d'un rigolo -, le directeur artistique du TDP donne une cure de jouvence à la pièce. Un pari audacieux, pas totalement réussi, mais cette production a beaucoup de mérite et de belles qualités.

Les monstres, les tyrans et les manipulateurs tiennent le haut de l'affiche ce printemps au théâtre. Alors que Caligula terrorise ses sénateurs au Théâtre du Nouveau Monde, Harpagon tourmente sa maisonnée au Théâtre Denise-Pelletier ainsi qu'à La Bordée, à Québec, où sera présentée une autre production de L'avare en avril.

On connaît l'argument. Harpagon, père de famille sévère et avaricieux comme Séraphin, veut marier de force ses deux enfants. Élise est amoureuse de l'intendant Valère, mais son père lui propose comme époux un vieux et riche seigneur. Son fils Cléante, qu'il destine à une veuve, est épris de la belle Marianne. Or, Harpagon veut aussi l'épouser, aidé par les manigances de Frosine, qui croit qu'un service en attire un autre. Mais l'unique amour d'Harpagon, c'est son argent.

Dans la tradition moliéresque, les ruses et les quiproquos se succéderont. L'intrigue oppose la jeunesse et la vieillesse, l'avarice et la prodigalité. Le sous-titre de l'oeuvre, « L'école du mensonge », résume bien son propos. Dans cette comédie de caractère, tout est hypocrisie, flatteries et bassesses.

Langue à terre

Un peu comme l'avait fait Réjean Ducharme avec Le Cid, en 1968, Poissant propose un Avare « magané ». Sans réécrire la pièce, le metteur en scène prend des libertés avec le texte. Il se permet des clins d'oeil et des commentaires scéniques. Sans aller jusqu'à utiliser le joual, Poissant a demandé à ses interprètes de conserver un accent québécois, de pas s'ajuster à la langue normative, ce « beau » français propre à Molière.

Or, la richesse du théâtre classique, c'est la beauté du verbe, la musicalité des mots. Pas sûr que Molière aurait fait rouler les « R » à ses acteurs... Mais pourquoi pas ?

Une fois passée la surprise (le choc) de la première scène, où Valère et Élise ressemblent à deux adolescents de la génération des millénaires, on se fait à l'idée : cet Avare sera déroutant ou ne sera pas.

Harpagon (Jean-François Casabonne, tout simplement magistral !) a le visage jaune et cireux d'un mort-vivant ; Frosine (irrésistible Sylvie Drapeau !) joue l'aguicheuse comme Rita Hayworth dans Gilda ; La Flèche et les autres valets exécutent quelques pas de danse contemporaine.

Cette lecture très actuelle nous montre le côté le plus sombre du personnage créé par Molière, il y a 350 ans. Son avarice n'est pas seulement un défaut : c'est une maladie qui ronge Harpagon de l'intérieur. Entre deux quintes de toux, le vieil homme calcule et protège sa fortune. Pour ne pas céder à la peur du vide.

***1/2

L'avare de Molière

Mise en scène et dramaturgie de Claude Poissant. Avec Jean-François Casabonne, Sylvie Drapeau et huit autres interprètes.

Au Théâtre Denise-Pelletier jusqu'au 8 avril.

Photo Gunther Gamper, fournie par le Théâtre Denise-Pelletier

Le metteur en scène Claude Poissant donne une cure de jouvence à L'avare, sans nier le côté sombre et grave de la pièce, estime Luc Boulanger.