Les temps sont durs. Pour contrer la morosité ambiante, Lorraine Pintal a mis le paquet avec son équipe pour monter La bonne âme du Se-Tchouan, une pièce de théâtre musical de son auteur fétiche, Brecht, qui a des airs événementiels. La directrice du TNM a réuni 15 comédiens de divers horizons, accompagnés de quatre musiciens sur la scène, en plus de collaborer avec des concepteurs au sommet de leur art.

Disons-le d'emblée, c'est l'une de ses meilleures mises en scène depuis longtemps! Mme Pintal signe un fort beau spectacle qui, malgré quelques longueurs, réussit à faire quelque chose d'essentiel au théâtre comme dans la vie: élever notre âme. À défaut de la sauver...

«Une seule bonne âme peut-elle sauver le Se-Tchouan?», demande le maître de cérémonie (impressionnant Daniel Parent!) au début du spectacle. À moins de croire au Sauveur (ou à Donald Trump), la réponse est bien sûr: NON. Selon Brecht, la misère est bien trop grande pour qu'une seule personne, aussi bonne soit-elle, puisse changer un pays, une patrie.

La révolution sera collective ou ne sera pas.

Un argument simple

Un dieu (Jean Marchand, juché sur d'épais et vertigineux cothurnes) cherche dans une Chine imaginaire une bonne âme qui sauvera le peuple de la misère et de la corruption. Il va trouver une pauvre prostituée, Shen-Té, dont la bonté sera exploitée par tout le monde (ou presque). Celle-ci a aussi un cousin masqué, le rigide homme d'affaires Shui-Ta, qui agira comme l'ange noir de Shen-Té, qui la protégera lorsqu'elle tombera amoureuse d'un aviateur égocentrique et manipulateur. Isabelle Blais incarne ce double personnage, féminin et masculin, avec justesse, dextérité et luminosité. L'aviateur est joué avec brio par Émile Proulx-Cloutier. Cet acteur nous montre à nouveau l'immense étendue de son talent et de son charisme.

L'argument de la fable est assez mince, et l'histoire se répète un peu. Ce qui est magique, spectaculaire, c'est l'univers allégorique de Brecht revisité par Pintal.

Avant d'entrer dans la salle, les spectateurs croisent les interprètes en train de se maquiller dans des loges improvisées. Aidés par les maquillages de Jacques Lee-Pelletier et les colorés costumes de Marc Senécal, les personnages brechtiens, très expressionnistes, sont des archétypes de la comédie humaine. On voit le personnage masqué, tout en devinant ce qui se cache sous son masque.

La vie est un cabaret

La distribution, réglée au quart de tour, évolue dans la scénographie décloisonnée de Danièle Lévesque, rehaussée par les splendides images du concepteur vidéo Lionel Arnould en toile de fond. À l'arrière, discrets mais toujours présents, Philippe Brault et ses musiciens secondent les acteurs. La magnifique musique originale de Brault épouse parfaitement la proposition. Toutefois, on aurait souhaité que l'ambiance cabaret soit plus exploitée dans la mise en scène, par moments en panne de rythme.

Le récit est entrecoupé de plusieurs chants. On reconnaît le talent vocal et théâtral des Louise Forestier, France Castel, Marie Tifo et Linda Sorgini, qui font chacune leur tour de chant. Mais la surprise vient de Bruno Marcil. Ce dernier joue un désopilant et généreux barbier, follement amoureux de Shen-Té. Lorsqu'il entonne Le chant du barbier Shu-Fu, debout sur une chaise à l'avant-scène, il livre un grand numéro d'acteur!

Lorraine Pintal a donc réussi son pari de (re)mettre Brecht au goût du jour, en dépoussiérant la pièce et en signant une production haute en couleur. Un plaisir pour les yeux. Et pour l'âme.

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La bonne âme du Se-Tchouan. De Bertolt Brecht. Mise en scène de Lorraine Pintal. Avec Isabelle Blais, Émile Proulx-Cloutier, Marie Tifo, Benoit Landry. Au TNM, jusqu'au 11 février.

Photo Yves Renaud, fournie par le TNM

Isabelle Blais (masquée) interprète aussi le double masculin de Shen-Té, Shui-Ta.Sur la photo, on peut aussi voir Marie Tifo dans le rôle de la veuve Shin.