Le chorégraphe Ohad Naharin n'est plus à présenter. À la tête de l'unique compagnie isralélienne Batsheva Dance Company, il était attendu par un public fébrile hier soir, venu voir son Last Work dans un Théâtre Maisonneuve plein à craquer. Une oeuvre plutôt contemplative mais à la fin explosive, qui donne à voir toute la richesse et la profondeur du Gaga, une méthode d'exploration du mouvement inventée par le créateur.

«[Avec le Gaga], nous explorons le mouvement multidimensionnel, nous sommes conscients de notre pouvoir explosif et parfois, nous l'utilisons... Nous pouvons être calmes et alertes à la fois. Nous devenons disponibles...»

C'est en ces mots (librement traduits), entre autres, qu'Ohad Naharin décrit le Gaga, une technique de son crû qui permet aux interprètes de sortir de leurs habitudes et réflexes pour reconnecter avec une force primale et animale permettant de déployer le corps dans toutes ses directions et possibilités. En résulte une signature unique, où chaque - formidable - interprète de la Batsheva Dance Company apparaît libéré de toute contrainte, le corps à découvert abandonné à un mouvement décomplexé et créateur, tout en faisant preuve d'une précision d'une infinie finesse dans l'exécution.

Le passage du temps, au pas de course

Last Work s'ouvre sur une jeune femme vêtue d'une robe bleue, courant sur un tapis de course, à l'arrière de la scène, un poste qu'elle ne quittera pas pendant l'heure et quelque que dure la représentation. Stoïque, elle regarde droit devant, fuyant ou se dirigeant vers quelque part, ou simplement marquant le passage du temps. L'action qui se déroule devant elle n'en devient que plus relative; pendant que les êtres s'agitent, le temps, imperturbable, continue sa course.

Au fil de trois tableaux distincts, Last Work se déploie, dans une énergie d'abord contenue, mais qui ne manquera pas d'éclater en fin de parcours. Le pouvoir explosif du corps est mis en latence au profit d'une approche contemplative et méditative, voire onirique, appuyé par une enveloppante musique ambiante.

La pièce donne à voir un riche éventail de mouvements, qui n'ont souvent que faire du vocabulaire codé de la danse classique: torsions cambrées défiant la gravité exécutées au ralenti, corps qui se liquéfient et ondulent, soubresauts et pulsions agitant les jambes, les bras, les mains... Tout, ici, est dans les micro-détails des mouvements exécutés dans une infinie lenteur, presque en suspension, dans l'expression et le regard des interprètes, qui, en agglomérat ou individuellement, au sol, à quatre pattes, en rampant, immobiles ou en se déplaçant nerveusement sur la pointes des pieds, habitent l'espace vide qui n'a que pour seul décor des panneaux blancs, disposés de chaque côté de la scène, créant des couloirs permettant les entrées et sorties.

Une fin explosive

Si l'ensemble demeure fascinant à regarder, l'esprit se prend à errer à mi-parcours alors qu'on cherche et attend cette énergie électrique pour laquelle le créateur est bien connu. Ceci dit, le choc n'en est que plus brutal lorsque, finalement, il déploie son arsenal.

Sur fond de musique techno, le temps s'accélère soudainement et s'emballe, passant en un claquement de doigt de fête païenne à état de siège. Sont convoqués: drapeau blanc qu'on agite, fusil qu'on masturbe et ruban adhésif qu'on déroule et enroule autour des danseurs, créant un territoire morcelé où chacun, pourtant, est intimement lié à l'autre.

Certains y verront une référence claire à la situation politique d'Israël, même si Naharin refuse d'identifier son travail comme tel. Si on aurait souhaité que le chorégraphe s'attarde davantage sur cette fin-éclair - comme s'il laissait là, en suspens, une ébauche remplie de promesses - Last Work n'en demeure pas moins une oeuvre percutante, qui ne décevra pas les afficionados de la compagnie.

* * * 1/2

Aujourd'hui et demain, 20h, au Théâtre Maisonneuve*.

* À noter que les représentations affichent complet.