Deux journalistes, deux générations, un intérêt commun pour La galère. Amateurs de la série télévisée, qui a pris fin en 2013, Josée Lapointe et Hugo Pilon-Larose ont assisté à la pièce de théâtre qui en a été tirée. Après la tournée au Québec l'été dernier, c'était soir de rentrée montréalaise, jeudi. Steph, Claude, Mimi et Isa sont-elles toujours aussi charmantes? Critique croisée.

Josée: J'ai aimé La galère. J'ai ri des vacheries de Claude autant que j'ai été émue par la maladie d'Isa. J'ai regardé cette série comme je lis un roman de chick lit, parce que c'était léger et que moi aussi, j'aime bien les contes de fées - un premier ministre amoureux d'une auteure fauchée, mère célibataire de trois enfants, c'est évidemment de la pure fiction pour «midinette» qui s'assume. En allant voir la pièce (toujours écrite par Renée-Claude Brazeau et mise en scène par André Robitaille) jeudi avec toi, Hugo, je ne m'attendais pas à du grand théâtre. Mais ce qui nous a été présenté ressemblait tellement à du sous-théâtre d'été, comme il ne s'en fait même plus vraiment au Québec, que j'avoue ne pas être encore remise du choc. On ne leur demandait pas grand-chose, pourtant: seulement de nous faire rire et passer un bon moment.

Hugo: Je comprends ton état de choc, Josée. Est-ce du malaise, de l'incompréhension? L'équipe, pourtant talentueuse, ne déploie pas sur scène ses atouts. Parlons d'abord d'un problème de taille... Notre plaisir de retrouver les intrigues de Renée-Claude Brazeau était quintuplé par le fait de revoir les actrices originales. Or, Hélène Florent (qui joue le rôle de Stéphanie) n'est finalement pas de la partie. Quoique Marilyse Bourke interprète bien son rôle, ça ne fait pas pareil. Mais le problème ne tient pas qu'à cela. Une fois transposées de la télévision à la scène, les répliques de nos quatre comparses - rapides, jouées de façon mitraillée - deviennent criardes, clownesques et trop souvent grotesques.

Josée: Cette transposition comportait des dangers et on a l'impression que l'équipe est tombée dans tous les pièges. C'était essentiel d'inclure des références pour les initiés - Claude qui nous rappelle qu'elle est noire, j'avais oublié! -, mais à force de vouloir parler de tout, les ex, les chums, les enfants, etc., la pièce est trop bavarde. Le théâtre, c'est aussi l'art de l'évocation et ici, on n'évoque rien, on ne fait que raconter. Ce qui faisait la force de la série, c'était aussi la trâlée d'enfants qui vivent avec leurs mères dans la grande maison de Mme Baer. Alors, lorsque Stéphanie pète une coche au téléphone contre leur ingratitude dans ce qui devrait être une grande séance de défoulement pour mères indignes, on est presque mal à l'aise, surtout à cause de l'absence de réponse. Les enfants, drôles et baveux, manquent cruellement à la pièce.

Hugo: Dans la première demi-heure du spectacle, je sentais moi aussi qu'on voulait nous mettre à jour sur les intrigues inachevées de la série. Mais la nouvelle histoire qui est finalement racontée dans cette pièce n'est pas à la hauteur des beaux souvenirs que l'on a. L'intrigue, basée sur un journaliste qui a intercepté les conversations salées des quatre filles alors qu'elles se maquillaient dans les toilettes d'une salle de bal, est mince. Leur fuite dans un chalet, où Stéphanie se réfugiait avec sa fille, dont elle ne sait pas qui de Marc (son mari premier ministre) ou de Michel (son ex qui est chef dans un bistro) est le père, n'a rien d'enlevant. Une chance qu'Anne Casabonne, qui joue le personnage de Claude, est toujours aussi cinglante et «attachiante», car elle porte sur ses épaules les seules répliques où j'ai ri de bon coeur. Le texte, tout comme la mise en scène, propulse sans cesse les quatre interprètes au-devant de la scène, où elles parlent face au public comme dans une bonne vieille comédie de situation. Le résultat est fade. Et que dire de la fin, où, une fois rendues en prison (ne dévoilons pas le «punch» qui les a menées là!), les quatre amies terminent une dispute en déchirant leurs habits orange de prisonnières, sous lesquels elles sont habillées pour aller dans un cinq à sept, et qu'elles dansent sous des lumières de discothèque. C'est ridicule.

Josée: C'est dommage parce qu'on allait là avec le désir de retrouver de vieilles copines. Mais j'ai trouvé ce spectacle tellement paresseux que ça a gâché mon plaisir. Quand on sait que le public viendra nous voir de toute façon parce qu'il a un attachement émotif, on ne doit pas s'en tenir au strict minimum. On peut, je dirais même qu'on est obligé de faire des efforts pour ne pas rester au ras des pâquerettes. C'est certain qu'une série qui s'étire sur 10 épisodes permet une ligne dramatique plus subtile. Ramener ça à un spectacle de 90 minutes obligeait à faire des choix, ce qui aurait permis un peu plus de nuance. En tout cas, on ne m'y reprendra plus.

Hugo: Pour ma part, j'essaie depuis hier d'oublier ce spectacle pour garder dans ma tête les beaux souvenirs de La galère, une émission qui a marqué à sa façon notre petit écran. Comme quoi une bonne équipe ne donne pas nécessairement deux fois un même bon résultat.

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La galère sur scène est présentée au Théâtre Maisonneuve encore ce soir et continuera sa tournée québécoise en 2017.