Avec Je crois?, un texte philosophique et puissant sur la perte d'identité, la compagnie La Shop Royale signe une première création aussi déroutante que percutante. Dans la petite (et inconfortable) Salle intime du Prospero, la troupe nous offre l'une des plus belles surprises de la saison! Une pièce étrange et pénétrante, où le style ne fait pas oublier la substance.

Du théâtre tout simple et bien maîtrisé, porté par les mots, le rythme et le jeu des acteurs. 

Pour paraphraser Denis Podalydès (l'acteur français a dirigé la création de la pièce, en 2002, à Bourges), Je crois? est à la fois une oeuvre «cérébrale et sentimentale, humoristique et tragique, fantastique et réaliste».

Un garçon, Jean, a grandi sous la garde de sa grande soeur, Pauline. Les parents sont absents, les enfants, livrés à eux-mêmes. Pauline lui propose de jouer à un jeu: parler en inversant le «je» et le «tu». «Toi, c'est moi, moi, c'est toi!» Ce petit manège aura un grand impact sur la vie de Jean qui, adulte, finira par vivre à travers les pensées d'autrui, tout en restant étranger à ses propres pensées. Cela le détruira...

Un quatuor de virtuoses

Sur une scène dépouillée (beau décor minimaliste de Xavier Mary), la proposition de La Shop Royale repose sur la distribution et la mise en scène. Deux points forts de cette production. Avec un jeu décalé, stylisé, les quatre interprètes sont très solides. La direction de Benoit Rioux est précise, presque chirurgicale.

La savoureuse Florence Longpré incarne l'amoureuse de Jean, Muriel. Elle a le monologue le plus truculent de la soirée. Une sorte d'apologie de la superficialité doublée d'un rejet du «monde intérieur». Son personnage en contre-motif se heurte aux crises existentielles de Jean et Pauline. «Pourquoi l'essentiel serait forcément au fond et non en surface?», résume Muriel. Dans le rôle en retrait du bienveillant ami, Simon-Pierre Lambert est très juste.

Dans la peau du frère trompé, Samuël Côté est remarquable! Il joue l'introspection, le trouble intérieur, la confusion de son personnage en dosant l'étrangeté et la vraisemblance. À la fin, on sent son malaise dans son ventre! La soeur amère, remplie de fiel et de hargne, est une partition périlleuse pour une actrice. Or, Marie-Pier Labrecque donne une performance exceptionnelle, ponctuée de moments de grâce. 

On sort de la représentation secoué, mais plus lucide. Pour un auteur qu'on associe surtout au cinéma, Je crois? est un texte riche et fort. Avec un côté obscur et singulier comme chez Koltès (on pense à Quai Ouest). Et une langue raffinée digne d'une Nathalie Sarraute (Pour un oui, pour un non). Finalement, l'imaginaire poético-magique d'Emmanuel Bourdieu (il est le fils du sociologue Pierre Bourdieu) nous séduit. À voir absolument!

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Je crois? Texte d'Emmanuel Bourdieu. Mise en scène de Benoit Rioux. Au théâtre Prospero (Salle intime) jusqu'au 3 décembre.

PHOTO MAXIM PARÉ-FORTIN, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Je crois? est présentée à la Salle intime du Prospero jusqu'au 3 décembre.